L’ombre des origines. A la rencontre d’anciens de l’Aide sociale à l’enfance

MAHE Jean-Louis, Albin Michel, 2009, 296 p.

Que deviennent les enfants pris en charge par l’ASE, quand ils deviennent adultes ? Mise à part la terrible statistique de l’INED, établissant qu’en 2006 40 % des SDF âgés de 18 à 24 ans sortaient du dispositif de protection de l’enfance, il n’y a aucune visibilité sur leur devenir. Du fait, tout d’abord, de l’absence de tout dispositif d’évaluation statistique. Mais aussi, par respect pour leur vie privée. Ils n’ont pas forcément envie qu’on leur reparle de leur passé. Pourtant, le récit passionnant et émouvant que Jean-Louis Mahé nous fait de la destinée de dix anciens de la DASS vient combler un manque et apporter une esquisse de réponse à une légitime curiosité : à quoi sert notre travail d’éducateur ? Les uns s’en sont sortis. Les autres ont vécu une vie de galère. Certains n’ont jamais voulu avoir d’enfants, de peur de reproduire ce qu’ils avaient subi. D’autres ont fondé une famille, s’appuyant sur l’épaule bienveillante et protectrice d’un conjoint. D’aucuns expriment leur haine et leur colère contre un parent gravement maltraitant.  Parfois, ils pardonnent l’inqualifiable. Mais toutes et tous semblent avoir profité de leur placement, de leur rencontre avec une institution ou des intervenants qu’ils citent volontiers, comme autant de figures structurantes et affectives. Un éducateur, une assistante maternelle, un Directeur comparé à un substitut de père… A sa naissance, le petit d’Homme est en quête de sensations rassurantes fondamentales. S’il les trouve, il se développera dans des conditions satisfaisantes. Il arrive parfois que les difficultés ou la perversité parentale le plonge dans l’instabilité, la peur de l’abandon, la terreur face aux coups, une image de soi construite sur la honte et la culpabilité. Il risque alors, en grandissant, de rechercher indéfiniment à compenser cette carence relationnelle précoce, en tentant désespérément d’assumer son héritage génétique, émotionnel et culturel. Cette insécurité fondatrice qui mine l’assise narcissique le poursuit alors, le fragilisant souvent dans sa relation à l’autre. Mais le pire n’étant jamais certain, une rencontre peut constituer le socle d’un nouveau départ. Le meilleur surgit quand l’enfant réussit à se dégager de l’ombre de ses origines et trouve des adultes qui construisent avec lui un vécu empreint de respect et d’attention, d’apaisement et de réassurance. Il pourra alors avancer sur son chemin, malgré les obstacles et les épreuves. Le pire, c’est quand il continue à être confronté à des interlocuteurs englués dans leur violence existentielle qui l’enferment dans son malheur. En explorant ces vies singulières, Jean-Louis Mahé nous montre que permettre à ces enfants de sortir de l’ombre pour aller vers la lumière, c’est leur transmettre du désir, de la fierté et du sens.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°951 ■ 26/11/2009