Une fille en correction

LAÉ Jean-François, Ed. CNRS, 2018, 262 p.

En fouillant des archives sur le point d’être détruites d’une association de protection de l’enfance, Jean-François Laé a fait une précieuse découverte : la correspondance s’étendant tout au long des années 1950 entre Odile Rouvat, assistante sociale auprès du tribunal pour enfants et Micheline Bonnin, jeune mère de 20 ans. Il en a fait ce livre. D’un côté une professionnelle appartenant à cette catégorie de femmes issues de la bourgeoisie, ferventes catholiques et célibataires affirmées qui se saisissent de leur métier par goût de d’apostolat mais aussi comme tremplin d’émancipation et d’indépendance. De l’autre côté, l’une de ces femmes enfermées à la demande de leur mère, sur ordonnance de justice dite par voie de correction paternelle. Son tort ? Être une fille mère sans ressource. Rebelle à l’autorité maternelle, causant des désordres dans la maison, traînant derrière elle une réputation sulfureuse, elle est placée à la maison maternelle de La Roseraie. La protection de l’enfance pour les adolescentes s’identifie alors à une maternité sociale qui se donne pour mission de les préparer à leur futur rôle de maîtresse de maison, d’épouse et de mère. Odile Rouvat n’a qu’une ambition : renverser l’indignité de celles qui découchent, fréquentent les garçons et font la fête et faire oublier leur faute par l’institution du mariage. Le ventre des femmes  est alors surveillé dès leur quatorze ans pour éviter le déshonneur suprême : la grossesse illégitime. Mais placer une mère et son enfant sur le marché matrimonial est une gageure. En attendant qu’elle convole en juste noce, famille élargie, réseau catholique et assistante sociale font alliance pour éloigner la jeune fille de ses mauvaises fréquentations. Elle sera envoyée hors région chez un parent acceptant de l’héberger. On lui trouvera une place comme bonne ou ménagère, cuisinière ou nourrice chez un notable. On proposera aux entrepreneurs, commerçants ou agriculteurs de se servir dans ce vivier de petites mains. Escapades, rebellions et résistances marquent le quotidien des institutions d’accueil qui n’hésitent pas à exclure les trublions. Ce qui se joue entre Odile l’assistante sociale et Micheline la jeune mère ne se limite pas au simple registre du contrôle social. Une affection, une complicité et une continuité s’instaurent progressivement, au point que la  professionnelle accepte de devenir la marraine de l’enfant de sa protégée. Étonnante plongée dans le travail social des lendemains de la guerre proposée ici qui permet de mesurer à la fois le carcan moral qui s’exerçait alors sur la condition de la femme et le chemin parcouru.                             

 Non publié - Novembre 2018