Le travail social - 1974

Jeanine VERDES-LEROUX, Editions de Minuit, 1974, 275 p.

A une époque où le milieu du social s'interroge sur la raison d'être et son devenir, il est intéressant de rappeler pour mémoire les préoccupations de la période de crise précédente, ceci afin de situer nos actuels débats dans la perspective historique qui s'impose.

Il y a juste 20 ans paraissait un ouvrage qui a marqué son temps, celui de Jeanine Verdès-Leroux. Il ne s'est pas agi alors d'un coup de tonnerre dans un ciel serein mais plutôt de l'aboutissement de tout un mouvement de remise en cause et de la synthétisation d'un processus de contestation de l'idéologie de la neutralité professionnelle qui prend ses racines en 1968.

L'auteur inscrit son analyse du travail social dans une perception résolument sociopolitique. Qu'on en juge plutôt...

"L'allégeance des agents à la classe dont ils expriment les intérêts matériels et moraux, n'a pas toujours été dissimulée". S'ensuit le rappel historique de la genèse du service social.

La période 1900-1914 est marquée par la volonté d'apporter une solution individualisée aux difficultés de chacun grâce... à l'exemple et à l'éducation ouvrière (moralité, discipline et respect de l'ordre établi). Dans les années 20, les "surintendantes d'usine" se fixent pour objectif la surveillance morale de femmes intégrées à la production pendant la guerre. Quant à leurs collègues "visiteuses", ce sont les foyers familiaux qu'elles surveillent en classant les familles en "relevables" et "irrelevables". Le Front Populaire est l'occasion d'un humanisme bon teint "aimer du même amour dirigeants et dirigés" et d'une prise de position contre les congés payés (qui allaient favoriser l'alcoolisme). L'Etat français de Pétain s'attache à des préoccupations auxquelles les AS ne sont pas insensibles : lutte contre la licence des mœurs, divorce, travail des mères, lutte des classes...

A la libération, le "case-work" d'inspiration psychanalytique permettra d'individualiser des problèmes qui sont avant tout d'origine sociale. Jeanine Verdès-Leroux présente alors la crise du service social comme le résultat de la contradiction entre la demande d'aide de ceux qui en ont besoin et la demande de la société de contrôler ceux-ci. D'où la revendication d'autonomie des professionnels face aux classes et pouvoirs dominants. Après s'être intéressée à l'équipement idéologique des AS (composition sociologique, méthodologie, légitimisation, ...) l'auteur s'en prend (chacun son tour !) aux autres métiers du social parmi lesquels on retiendra cette Conseillère en Economie Sociale et Familiale qui analyse les dettes non comme une difficulté financière mais comme un trouble de l'endetté, ou bien encore la Puéricultrice qui est liée à "la politique d'économie de main-d’œuvre". Le délégué à la tutelle, lui, doit conjurer l'impatience des pauvres à vouloir bénéficier de biens tout de suite.

Tous participent de cette action qui consiste à amener la population pauvre à la résignation, la solution résidant au contraire dans la transformation des conditions de vie.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°291  ■ 26/01/1995