Enfants en justice

ADAM Michelle, Ed. Librinova, 2022, 216 p.

Elle aura été prise en otage, enfumée dans son bureau par un début d’incendie volontaire, passée à tabac, victime de la mise à sac de son foyer. Elle aura eu à gérer Younès, arborant un provocateur « j’baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime » sur son tee-shirt, un Brian ne s’exprimant que par des insultes sexualisées avec une moitié du visage ébouillanté, par une mère excédée de l’entendre pleurer, un Monsieur D. s’immolant par le feu après avoir demandé à un jeune de lui prêter son briquet. Pour confiner à l’inimaginable, les vingt portraits dressés ici ne sont pas le produit d’un imaginaire fécond, mais le récit d’un réel vécu de terrain. Le candide pourra se montrer incrédule. Le professionnel s’y projeter. Le candidat à une telle fonction y trouver la justification de ses choix … ou, échaudé, y renoncer. Tous conviendront du sentiment de maîtrise, de savoir-faire et de virtuosité émanant d’une éducatrice qui ne baissa jamais les bras face à l’adversité. Bien sûr, elle connut la peur, des angoisses l’empêchèrent de dormir certaines nuits et le sentiment d’impuissance la tétanisa, parfois. Pour autant, elle sut initier une réponse mâtinée d’autorité et de patience, d’exigence et de temporisation, d’inflexibilité et d’ajustement. Chaque fois, elle a agi comme elle le sentait, en opérant des choix qui pouvaient aussi bien aggraver qu’apaiser la tension. Inutile de chercher ici des préconisations de bonnes pratiques. La rencontre, inhérente à toute relation d’aide, est au croisement de la personnalité de l’intervenant(e) et de celle ou de celui à ses côtés, des difficultés rencontrées et d’un moment donné. Autant de variables qui, se déclinant à l’infini, se conjuguent en cultivant le sens de l’improvisation, de l’intuition et de la créativité. Ce que démontre avec maestria l’auteure. Trois constantes se détachent, toutefois. Une conviction chevillée au corps, d’abord : si tous les enfants en danger ne sont pas délinquants, tous les délinquants sont des enfants en danger. Une émotion, ensuite : pour énigmatique, surprenant, terrifiant parfois, ce public est toujours terriblement attachant. Une éthique, enfin : placer l’intérêt de l’enfant au centre. En nous faisant rire et trembler, en nous stupéfiant et nous émouvant, Michelle Adam restaure toute l’humanité des gosses qu’elle a accompagnés pendant quarante ans à la Protection judiciaire de la jeunesse. A surtout ne pas manquer !

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1323 ■ 20/09/2022