Fillettes abusées, femmes en souffrance

NEMTCHENKO Georges, Robert Laffont, 2011, 173 p.

Voilà un auteur qui ne manie pas la langue de bois et qui ne craint pas de choquer, ni d’être mal interprété. Ainsi, au risque de renouer avec le syndrome des faux souvenirs qui a fait, en son temps, tant de dégâts outre Atlantique, il n’hésite pas à affirmer qu’un certain nombre de névroses d’angoisse, d’hystéries et de phobies féminines trouvent leur origine dans un abus sexuel subi dans la petite enfance et dont la mémorisation a été refoulée. Il insiste, toutefois, sur l’impérieuse nécessité, pour le thérapeute, de ne pas induire de faits imaginaires. Et de valoriser, chez le patient, cette oscillation entre le doute et les certitudes qui constitue pour lui une preuve d’authenticité. De même, au risque d’induire qu’elle pourrait avoir quelque responsabilité en la matière, il évoque comment la fillette ne ferait pas que subir le commerce sexuel avec l’adulte … mais l’agirait. Heureusement, l’auteur précise qu’il ne s’agit que de la satisfaction face à la perte de contrôle et à la fascination éprouvée par l’agresseur, la concernant. Ce serait cette vérification de ses capacités narcissiques à plaire et à séduire qui nourrirait sa culpabilité ultérieure, face à son agresseur. Il en va de même, lorsque l’auteur présente les adultes, au risque de les faire tous passer pour des pédophiles en puissance, comme susceptibles d’éprouver un émoi sexuel, lors des jeux et des contacts corporels avec les enfants. Il nous rassure, en nous expliquant que ce n’est que lorsque le père réagit en tant qu’homme sexué et non pas comme parent, que l’on entre alors dans une poudrerie, avec une bougie allumée. Il poursuit, en émettant des doutes sur la dimension thérapeutique de la procédure judiciaire, au risque de décourager les dépôts de plainte. Finalement, il argumente avec finesse, en rappelant l’inhumanité d’un dispositif qui broie souvent tant les accusés que les victimes, réduits à la nécessité d’apporter des preuves, mais aussi la logique d’une institution dont l’objectif n’est pas de restaurer les atteintes subies, mais bien de rétablir un ordre social transgressé par une infraction. L’auteur continue en critiquant la notion judéo-chrétienne de pardon et revendiquant la légitimité de la vengeance, au risque de réhabiliter la loi du Talion. Mais, c’est surtout pour montrer la nécessité de laisser s’exprimer les ressentis de colère, de haine et d’agressivité, la verbalisation et l’externalisation constituant la meilleure voie pour canaliser la souffrance et éviter le destin ravageur d’affects qui resteraient enfermés. Au final, Georges Nemtchenko nous propose une réflexion décalée et fertile en pistes de réflexion, en rappelant lui-même qu’il ne prétend pas à la scientificité, mais cherche surtout à mutualiser son expérience de thérapeute.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1050 ■ 16/02/2012