Après l’inceste… Comment je me suis reconstruite avec la psychogénéalogie

LE DRÉAU Noëlle, InterEditions, 2011, 324 p.

Le témoignage de Noëlle Le Dréau est au choix précieux ou encombrant. Précieux pour toutes celles et tous ceux qui subissent la trahison d’une famille qui préfère les sacrifier plutôt que de reconnaître l’agression sexuelle commise par l’un de leurs parents. Encombrant pour les thuriféraires du familialisme présentant la famille comme compétente par principe et incontournable dans le travail de reconstruction. L’auteur avait pourtant oublié pendant des années ce qu’elle avait subi, sans que cela ne semble jamais devoir ressortir. Et puis, un jour l’angoisse l’étouffe, alors qu’elle attend le retour de sa fille restée seule avec son mari. Il lui fallut bien en chercher les raisons. Cela ne venait pas de l’homme avec qui elle avait choisi d’avoir son enfant qui n’était d’aucun danger pour lui. Tout d’un coup, éclata l’amnésie qui lui avait fait oublier les actes incestueux que lui avait fait subir son propre père, alors qu’elle était petite fille. Le travail thérapeutique qu’elle choisit alors d’entreprendre s’avèrera long et douloureux. S’il lui permettra de se libérer des effets du traumatisme vécu, il provoquera aussi la rupture avec sa famille : sa mère, sa fratrie, ses enfants lui tourneront le dos, persuadés qu’elle proférait alors des accusations mensongères et déshonorantes. L’ouvrage qu’elle nous propose ici analyse son cheminement et sa prise de conscience, en s’appuyant sur la psychogénéalogie. Certains lecteurs y trouveront une illustration particulièrement passionnante de l’idée selon laquelle les racines des souffrances du présent sont profondément enfouies dans l’histoire familiale. D’autres resteront sceptiques, considérant qu’à vouloir chercher des coïncidences signifiantes entre des faits survenus dans les différentes générations qui se sont succédées, on en trouve toujours. Peu importe, finalement, tant cette plongée dans la généalogie de l’auteur permet d’identifier les mécanismes de l’inceste. Car, Noëlle Le Dréau ne se contente pas de décrire les actes incestueux de son père, ni les comportements incestuels de sa mère ou le terrible tribut payé par ses proches au mythe de la famille unie. Elle réussit à percer les secrets de famille pesant lourdement sur le fonctionnement du clan dont elle est issue, remontant aux agressions, aux meurtrissures et aux souffrances subies par certains de ses ascendants. L’acte de mémoire qu’elle a ainsi accompli a été, pour elle, une étape incontournable dans sa reconstruction. En décrivant d’une manière clinique et conceptuelle son parcours, elle a aussi souhaité tendre la main aux victimes qui, ayant vécu les mêmes violences, sans réussir à les conscientiser, n’ont pu ni s’en délivrer, ni interrompre leur transmission inter générationnelle.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1062 ■ 10/05/2012