Tais-toi et pardonne!

De Villiers Laurent, Ed. Flammarion, 2011, 292 p.

L’enfant victime de l’inceste subit, trop souvent, une triple peine. Celle, d’abord, d’être transformé en objet sexuel. Celle, ensuite, d’être agressé par un parent aimé. Celle, enfin, de devenir le mouton noir, accusé de faire peser une lourde menace sur la cohésion familiale. On lui impose le silence, pour que la famille ne perde pas la face. C’est lui qui a vécu un terrible traumatisme. Mais c’est lui qui devient coupable d’avoir osé parler. Si l’auteur de ce livre n’était pas le fils d’un célèbre homme politique, figure marquante du catholicisme traditionaliste vendéen, aurait-il été édité ? A l’inverse, s’il avait été un illustre inconnu, la publication de son livre aurait-elle été bloquée en 2007, sur intervention de l’actionnaire majoritaire de la maison d’édition d’alors, au moment où son père se présentait aux élections présidentielles, comme l’affirme l’auteur ? L’ouvrage est finalement sorti des presses, fin 2011. Mensonges et affabulations crie le clan, à sa quasi unanimité. Pourtant, la lecture du livre ne laisse place qu’à bien peu de détails scabreux. Elle laisse juste entrevoir une ambiance, une atmosphère, un climat. Quelques moments de complicité heureux noyés au milieu d’une éducation marquée au coin de principes stricts, mélange à la fois de préceptes chrétiens particulièrement rigides et de culture royaliste. Le quotidien est envahi par la dévotion mystique et la crainte du démon. Et puis, le dérapage de l’aîné sur son petit frère de six ans son cadet. Cela se sait. Mais, on refuse d’en parler. Rien ne doit sortir. Le secret familial doit à tout prix être préservé. La souffrance de l’enfant doit disparaître derrière le tabou et le déni. Il doit pardonner. Et quand il ose porter plainte, tout est mis en œuvre pour le faire passer pour un mythomane. Il aurait voulu nuire à son père. Il est vrai qu’un tel scandale ne sied guère à celui qui s’est toujours présenté comme un parangon de vertu et le champion de la morale bien pensante. Mais, au-delà d’une histoire singulière, se profilent des mécanismes en vigueur depuis des millénaires. Le pire d’entre eux, c’est encore et toujours cette détresse de la victime qui pèse bien peu face à l’honneur de la famille qui ne doit souffrir d’aucune ombre. Terrible constat trop souvent encore d’actualité, mis en lumière par ce courageux témoignage qui démontre une autre constante : l’inceste est présent dans tous les milieux sociaux. Avec, toutefois, une différence : dans les familles aisées, on arrive peut-être mieux à le camoufler, en ayant les moyens d’étouffer l’affaire, que dans les familles pauvres. Manipulation que Laurent de Villiers a réussi à éviter, se faisant ainsi le porte parole de toutes celles et de tous ceux qui sont condamnés, par le diktat familial, à endurer leur calvaire en silence.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1062 ■ 10/05/2012