L’inceste, comprendre pour intervenir

A. CRIVILLE, M. DESCHAMPS, C. FERNET, M.F. SITTLER, Privat, 1994, 246 p

L’'inceste provoque aversion, stupeur et agressivité. Il renvoie chez chacun d'entre nous à cette phase fondatrice de toute personnalité qu'est le complexe d'Oedipe. Ce fantasme de possession exclusive de son père ou de sa mère qui apparaît vers 5 ans, sentiment refoulé mais jamais oublié.

C'est une équipe de terrain, professionnels de l'AEMO judiciaire, qui nous propose une étude de ce "crime pas comme les autres". D'abord, poser le cadre à travers un examen statistique. Les enfants victimes sont, surtout des filles. Deux périodes d'âge semblent plus fréquentes : entre 4 et 8 ans et entre 12 et 16 ans, à ces moments où l'enfant est plus sensible à tout ce qui ressortit à la sexualité. Le père est souvent violent, alcoolique, autoritaire et jaloux, ce qui ne signifie pas qu'être tout ou partie de cela implique un comportement incestueux. La mère, dégradée physiquement et victime de troubles psychiques, est passive, soumise et peu affectueuse à l'égard de ses enfants.

Ensuite, tenter d'expliquer. L'inceste n'est pas le plus souvent un phénomène isolé, mais un maillon dans un ensemble global marqué par un dysfonctionnement familial, Le couple parental prend souvent le pas sur l'enfant qui est pris alors dans un processus de rivalité. L'abuseur se présente soit comme un pervers (pour qui l'enfant n'est qu'un objet fonctionnel nécessaire à la poursuite de son plaisir), soit comme un narcissique (qui cherche à combler sa carence), soit encore comme un névrosé, (qui transgresse l'interdit en lien avec son propre complexe d'Oedipe non résolu). L'enfant, quant à lui, cherche surtout affection et tendresse. Toute séduction sexuelle qui dépasse ses capacités d'élaboration mentale entraîne des troubles dans son fonctionnement psychique.

Enfin essayer de réagir. Avant tout, éviter de se laisser engluer et absorber, mais tenter au contraire de prendre de la distance. L'intervenant reste l'interlocuteur de l'enfant et de la famille. Souvent, les familles font preuve d'agressivité : elles esquivent le problème en banalisant, niant ou essayant des diversions. Quand les parents ne sont pas mobilisés, une nouvelle violence menace alors l'enfant, celle du placement, inévitable pour assurer sa protection. Il s'agit face à lui de l'aider à se libérer de son secret, de l'accompagner dans ses souffrances : reconnaître alors ses émotions peur, dégoût, honte) permet de l'aider à les surmonter.

Ce qu'il faut favoriser chez lui, c'est son émergence en tant que sujet, la restitution de son estime de soi. Il faut travailler à lui redonner confiance dans l'adulte et l'aider à réinvestir son corps meurtri, déchiré, souillé.

L'ouvrage se termine en s'interrogeant sur les effets pervers de la pénalisation de l'inceste qui représente un nouveau traumatisme pour l'enfant et une  paralysie du travail socio-éducatif. Des modalités alternatives sont proposées mettant l'accent sur les solutions thérapeutiques

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°273  ■ 15/09/1994