Us et abus de la mise en mots en matière d’abus sexuel

Hubert VAN GISJEGHEM, Méridien, Association Jeunesse et Droit : 16 passage Gatbois 75012 Paris, 1999, 273 p.

L’objectif d’Hubert Van Gisjeghem n’est nullement de revenir sur le progrès que constitue la nouvelle crédibilité attribuée à la parole de l’enfant. C’est le militantisme féministe, explique-t-il, qui a permis, après des siècles de déni et de mépris,  aux différentes formes de violence faite aux femmes et aux enfants d’être enfin reconnues. Pour autant, « nous voulons dénoncer l’acharnement de beaucoup d’entre nous à découvrir des abus puis à les traiter à tout prix, cela au détriment de l’enfant. » (p.10) S’il n’est pas question un seul instant de nier ces abus, ni la faiblesse du nombre des fausses allégations, on ne peut pas pour autant négliger les mécanismes qui peuvent entraîner ces erreurs. Et, c’est tout d’abord la fragilité et la suggestibilité d’un témoignage qui est d’autant plus malléable que l’enfant est jeune. Jusqu’à quatre ans, seule la mémoire épisodique fonctionne. C’est au-delà de cet âge qu’intervient la mémoire de scénario qui permet de hiérarchiser les événements. Mais, même cette mémoire ne peut être comparée à une pellicule vierge sur laquelle s’imprimeraient les faits qui se sont déroulés. « Autrement dit, nous n’avons pas de souvenirs venant du passé, mais nous formons des souvenirs à propos du passé. »(p.147) D’où les risques de contamination du souvenir par arrangement, par action suggestive de l’entourage ou encore par l’effet de facteurs affectifs (qui provoquent l’embellissement, la rétractation, la censure ou le refoulement du récit initial). Ce processus est à l'œuvre aux Etats-Unis, dans ces « souvenirs retrouvés » que des psychothérapeutes induisent chez leurs patientes. A force de sélectionner les réponses pour ne retenir que celles attestant un abus sexuel passé, il ne leur est pas difficile d’obtenir des déclarations en cohérence avec leurs attentes. Et c’est bien ce qui peut miner l’enquêteur : plus il connaît d’éléments avant l’interrogatoire, plus son écoute sera sélective. Second mécanisme favorisant les fausses allégations, une prévention qui  désigne les adultes en général comme abuseurs potentiels, venant bousculer la confiance spontanée que la majorité des enfants leur accorde. Au risque de provoquer une défiance pouvant aller jusqu’à l’interprétation déformée de gestes naturels d’affection envers l’enfant. Dernière remarque de l’auteur, celle portant sur la recherche d’un dévoilement qui ne comporte en soi aucune promesse particulière de salut. L’aveu n’est nullement la garantie de moindre séquelles ni d’une absence de symptomatologie ultérieure. La mise à nu peut, tout au contraire, en démasquant toute intimité, porter un coup fatal à l’estime de soi. Prudence donc, car, il n’existe en réalité aucun outil  clinique donnant une certitude absolue de ce qui s’est passé.  

 

Jacques Trémintin – Juillet 1999