Les enfants de la terreur, la jeunesse des banlieues aujourd’hui

Patrick BRAUN et Kamel LAKROUF, Mercure de France, 1993, 286 p.

Avec un tel titre, on pouvait s'attendre à tout. A l'arrivée, on n'est pas déçu du voyage !
Le propos du livre tient dans l'illustration d'une plongée de la jeunesse dans un tourbillon de violence lié à la déliquescence de l'autorité des adultes.
Tout y passe : l'école livrée à des élèves ne respectant plus rien, la famille dominée par des enfants pervers, les bandes faisant régner la terreur, la télévision diffusant des heures de programme composées de viols, de sexe, meurtres et tortures, la banlieue dominée par l'ennui, le chômage et la drogue...
L'ouvrage est écrit à deux voix.
Patrick Braun, tout d'abord, "chirurgien international spécialiste des enfants" (?) auteur de plusieurs ouvrages, nous livre une synthèse d'articles de journaux (avec comme référence essentielle Le Figaro et France Soir), de sondages et d'essais souvent survolés. Son texte fourmille d'opinions et d'a priori dont il garantit l'authenticité à coups de "tous les médias sont d'accord sur ce point" (sic !) ou de "nos enquêtes (?) l'ont vérifié" (resic !)
Quant à Kamel Lakrouf qu'on sent au moins inspiré d'un vécu de terrain, il nous décrit ce qu'il vit dans son collège de banlieue où il travaille comme sur­veillant.
L'ensemble toutefois manque de crédibilité car le ton du livre n'arrive que très rarement à décoller du niveau de la conversation du café du commerce. Seule différence, au lieu de "brèves de comptoir", on subit 286 pages d'un discours-fleuve qui n'échappe pas toujours à une forme de logorrhée. On se gargarise, on s'étale, on cite, on affirme sans se soucier de quelconques procédés prudents et méthodologiques.
Après s'en être donné à cœur joie, il faut attendre la 260ème page pour lire quelques propos relativisant à la fois la violence de la jeunesse (comme phénomène atemporel) et l'information des médias (qui jouent un rôle amplificateur). L'ouvrage est à l'image de cette contradiction : c'est alternativement que l'on tombe sur des réflexions somme toute pertinentes (rôle des grandes concentrations urbaines, disparition du dialogue, dysfonctionnements familiaux, responsabilité d'une société qui n'offre pas d'avenir) et de véritables perles.
Parmi ces dernières, on peut citer les indignations concernant l'échec scolaire perçu de plus en plus non comme l'échec individuel de l'enfant qui n'a pas assez bien travaillé, mais comme un échec social. Eh oui, mon pauv'monsieur !
Aussi, cet avortement où se précipite un grand nombre de mineurs le plus souvent sans autorisation parentale (?). Ah, ma brav'dame ! Encore cette forte proportion d'enfants de 7 à 12 ans (39% des garçons et 17 % des filles, l'auteur est très précis) qui avouent se caresser "le zizi ou la zezette". "De là à entrer dans le jeu de la violence sexuelle des plus grands, il n'y a qu'un pas qu'il est aisé de franchir", s'exclame Patrick Braun. Rendez-vous compte, dans quel monde vivons-nous !
Enfin, ces jeunes qui ne convolent plus en justes noces avec le noble sentiment de rester une vie entière ensemble, mais pour satisfaire leurs instincts plus facilement. Ah, de notre temps !
Plus près du bavardage que du témoignage, ce livre grand public a pour défaut principal d'entretenir des considérations oiseuses et des lieux communs. Pour autant, il ne tombe ni dans le travers sécuritaire ni dans la xénophobie, ce qui est déjà ça !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°266  ■ 23/06/1994