Une saison en banlieue - Courants et prospectives dans les quartiers populaires

Adil JAZOULI, Plon, 1995, 367 p.

Au premier plan on trouve ces 10-16 ans animés d’une terrible lucidité. L’avenir n’est pas pour eux une promesse mais une menace. Ils portent des jugements extrêmement sévères sur le monde des adultes. Confrontés à l’image que leurs parents projettent sur eux, ils n’ont comme seule issue que le mensonge. Pour se protéger du sentiment d’abandon, de solitude voire de persécution, il leur reste la violence et l’agressivité qu’ils ont édifiées en mode de gestion des relations aux autres. Face à l’injustice d’une société sans futur, leur revanche c’est la mise à sac. Le vol constitue une sorte de redistribution primaire. Ce sombre tableau d’une jeunesse à la dérive marquée par l’indifférence et la logique de la démerde individuelle, nous le connaissons déjà. Le livre d’Adil Jazouli part de ce constat en voulant démontrer que la banlieue ne se résume pas seulement aux explosions de colère à la désagrégation et à la fracture sociale même si elle se situe à l’avant-garde de ces dérives.

Au travers de dix-sept illustrations prises aux quatre coins de la France des banlieues, on découvre ainsi des parents qui se mobilisent, des habitants qui s’organisent et des citoyens qui revendiquent sur la scène politique. Journaux de quartier, conseils de famille, amicale, restaurant de proximité gérés associativement, troupe de danse, associations de jeunes... sont autant d’espaces qui favorisent l’expression de la souffrance vécue au quotidien. Mais ils constituent aussi des relais permettant une prise en charge des situations difficiles: lutte contre l’échec scolaire par l’aide aux devoirs, solidarités familiales face à la toxicomanie, dialogue et médiation permettant d’éviter que la tension ne dégénère en violence. Mais la mobilisation collective ne se décrète  comme on le fait d’un dispositif. Cela débute parfois en réaction à des événements dramatiques telle le mort tragique de jeunes sous les coups de la police ou de vigiles. Mais on peut aussi assister à une véritable prise de conscience des parents revendiquant leur rôle d’acteurs collectifs à égalité avec les institutions. Pour mener à bien ces mouvements, il faut réunir un minimum de persévérance et de charisme: l’action se doit de partie des problèmes quotidiens, des demandes les plus immédiates. Il s’agit en fait  de « réintroduire du rapport social là où il n’y a plus que l’individualisme et l’anomie ». Ces embryons de reconstruction du lien social naissent, grandissent, meurent parfois.  Quand ils se pérennisent, ils sont confrontés à toutes sortes de tentatives de récupération de la part de partis politiques, de grandes associations déjà structurées, voire des forces intégristes. Il arrive même qu’elles se présentent aux élections locales et obtiennent des élus. Ce foisonnement est la preuve qu’une formidable potentialité subsiste et que les actions inter-ethniques et inter-générationnelle sont possibles et se réalisent tous les jours, fantastique espoir pour l’avenir.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°340 ■ 14/02/1996