Dommages irréversibles - Comment le phénomène transgenre séduit les adolescentes
SHRIER Abigail, Éd. Le Cherche Midi, 2022, 414 p.
Voici un livre signé par une journaliste américaine au Wall Street Journal qui pose des questions taboues, cultivant le scepticisme et se plaçant du côté du doute. Il nous invite à nous interroger.La mode serait-elle à dresser des bûchers ? Les minorités qui ont si longtemps souffert et souffrent encore de tant de discriminations ont vu certains de leurs défenseurs s’ériger en véritables censeurs. Prêts à fustiger la moindre prise de position n’entrant pas dans la seule vérité qu’ils entendent promouvoir (la leur), leur crédo peut se résumer à la formule : « tout ce qui n’est pas avec nous est contre nous ».
Ainsi ne faut-il pas parler de « transexualité » qui relèverait de la pire des ségrégations, mais de « transgenre » infiniment plus inclusif. Cette précision apportée, je ne crois pas que le reste de cet article échappe à l’excommunication et la damnation comme transphobe. La raison ?
On ne trouve pourtant dans ce livre aucune remise en cause du droit inaliénable de tout citoyen à se sentir étranger dans son corps et à se projeter dans celui du genre qui n’est pas celui de sa naissance. Pas plus qu’on n’y trouve aucune stigmatisation de son envie de se lancer dans une transition sociale (changement de prénom), autant que physique (prise d’hormones et opérations chirurgicales).
L’inquiétude qui saisit l’auteure, c’est l’engouement qui s’est emparé du monde des adolescents et plus particulièrement celui des adolescentes de son pays découvrant subitement leur transidentité. En quinze ans, la prévalence de la dysphorie de « genre » s’est accrue de 1000 % aux USA, entraînant l’ouverture d’une cinquante de cliniques dédiées à ces transitions de genre, concrétisant ainsi un véritable phénomène de société.
On pourrait y voir un progrès notable, symbole d’une libération bienvenue face à l’oppression d’une identité trop longtemps étouffée.
Qu’il soit permis d’émettre d’autres hypothèses politiquement incorrectes. C’est ce que fait Abigail Shrier, après avoir réalisé deux cents entretiens et rencontré cinquante familles concernées. Convenons d’emblée que l’échantillon est réduit et que son argumentation n’est pas à prendre comme une démonstration implacable et exempte de critiques. Prenons-la comme une contribution au débat.
Et si cette adhésion devait aussi être interprétée à partir du mal-être adolescent ? Du poids des réseaux sociaux et de l’individualisme poussé à son extrême ?
Quoi de plus marquant que l’attrait pour la transgression et les murs à abattre dans cet âge de l’entre-deux ? Que le besoin profond d’acceptation et d’appartenance dans ce temps intermédiaire entre l’enfant et l’adulte ? Sans oublier la tentation de tester les limites et de les repousser.
Quoi de plus attrayant que de découvrir une solution à sa recherche d’identité sexuée ? Une identité mouvante, qui trouve dans la transidentité une réassurance fictive.
Quoi de plus tentante que cette réponse au malaise croissant marqué par 25% d’augmentation des pensées suicidaires chez les adolescents américains entre 2009 et 2017 ? Et que dire des 37 % de dépression clinique en plus chez eux ?
Ce malaise n’aurait pas trouvé une telle focalisation, sans l’usage des réseaux sociaux. Les tutoriels y existent déjà, présentant les anorexiques, l’automutilation et le suicide, comme une condition courageuse. Des gourous influenceurs y expliquent dorénavant que le chemin du bonheur passe par un changement de genre. Se sentir différent ? Être mal à l’aise dans son corps ? Douter de la masculinité ou la féminité en soi ? À n’en pas douter, ces malaises sont les signes d’une transidentité qui s’ignore. Une fois révélée, la transition résoudra toutes les difficultés.
Exposer ses expériences en la matière, rend plus populaire. Cela permet de récolter des milliers de followers, de multiplier ses amis et finalement de gagner en réputation. L’immersion prolongée sur les réseaux sociaux s’alimentant réciproquement avec l’émulation du groupe de pairs : les ingrédients sont réunis pour amplifier l’effet de mode et la contagion sociale.
Ce phénomène est aussi celui d’une époque marquée par une solitude envahissante. Les épreuves qui étaient jusqu’alors affrontées à plusieurs le sont dorénavant en étant bien plus seul.
L’enfant est désigné comme l'unique expert de ce qui est bien pour lui. Son auto-évaluation est devenue le véritable diagnostic légitime. Ses ressentis sont, à coup sûr, des indicateurs infaillibles.
Et puis, il y a cette conviction d’auto-engendrement qui lui donne le sentiment d’être le seul acteur de sa vie. L’adolescent peut, à sa guise, se débarrasser de son corps remplacé par sa propre conscience : « ton genre, c’est toi qui en décides ».
Il ne s’agit surtout pas, pour les adultes, de réagir par le déni ou la négligence à ces questionnements posés par des adolescente(e)s sur l'hypothèse de leur transidentité. Mais faut-il pour autant confirmer les réponses qui les tentent, de les conforter et de les renforcer, comme le font les thérapies affirmatives qui ne font que certifier leurs convictions, sans chercher à les questionner.
La réponse la plus appropriée semble être l’attente vigilante. Ce dont ont plus besoin ces ados, c’est d’une écoute attentive, d’un accompagnement bienveillant et d’un soutien, attitudes seules à même de leur permettre d’identifier leur dysphorie de genre ou de cheminer vers une autre problématique psychique sous-jacente aux symptômes proches.
Lutter contre le harcèlement et les discriminations dont sont victimes les personnes transgenres constitue une priorité. Mais pas au prix de les confronter, encore enfant, au changement social de prénom et au blocage de puberté ou aux traitements hormonaux. Ces traitements médicaux doivent intervenir comme le dernier recours et non en première suggestion.
Ces appels à la prudence, à la temporisation et à l’ajournement peuvent être diabolisés. Ils n’en demeurent pas moins sages. C’est pourquoi vous lirez avec intérêt ce livre qui prône la mesure et tente d’éviter les emballements.