La battue. L’Etat, la police et les étrangers
WITTER Louis, Éd Seuil, 2024, 157 p.
Les journalistes jouent un rôle essentiel pour informer le public. En publiant son témoignage, Louis Witter apporte un éclairage saisissant sur ce que les autorités de notre pays pratiquent en notre nom. Et nous n’avons pas de quoi en être fiers !
Depuis 1998, des centaines, puis des milliers de migrants Soudanais, Erythréens, Afghans, Syriens, Irakiens s’entassaient dans le Calaisis avec comme seul objectif : traverser la Manche pour passer en Grande Bretagne. Le rythme des traversées s’était accéléré : 1 843 en 2019, 8 500 en 2020, 20 000 en 2021 et 50 000 en 2022. Ce que la France refusait d’apporter avait été édifié par les migrants dans ce qui allait être surnommé la « jungle de Calais » : mosquée, église, coiffeurs, magasins d’alimentation et même une école !
Le 24 octobre 2016, les plus de 10 000 migrants présents dans ce campement sauvage furent évacués. La doctrine qui s’est imposé depuis se résume en un slogan « zéro point de fixation » : ne plus laisser le moindre répit aux migrants patientant sur la côte française. Plus de campements, plus de cabanes en bois, plus de points d’eau qui tiennent ! En 2019/2020, 300 expulsions furent organisées et plus de 9 000 tentes et bâches détruites, dans un harcèlement permanent et continu.
Le long de la côte, des kilomètres de plages furent tachetées de murs et de barbelés (faisant la fortune de l’entreprise Concertina). Le long de l’A16, des barrières rigides furent installées. Sans aucun répit, les CRS évacuèrent les lieux, des tractopelles détruisirent tout ce qui se trouvait au sol, des entreprises de nettoyage assainirent. Les migrants furent embarqués de gré ou de force dans des bus qui les conduisirent dans un centre d’accueil à l’autre bout du pays, avant de les voir revenir et subir de nouvelles évacuations.
En abandonnant leur foyer en catastrophe, ces populations n’ont pas eu le choix. Elles ont fui la guerre, les massacres, les persécutions, la misère. Elles sont devenues des clandestins, des illégaux, des apatrides, des réfugiés, des demandeurs ou déboutés du droit d’asile, des migrants. L’errance et la précarité forcées et imposées provoquent un état constant de vulnérabilité tant physique que psychologique.
Le dispositif fort de 1 600 membres des forces de l’ordre présents en permanence, ainsi que toutes les interventions ont un coût : 160 millions par an dont 85 % sont consacrés à la répression. Que reste-t-il de la réputation de la soi-disant « patrie des droits de l’homme » ? Une justice qui a déjà invalidé un arrêté municipal interdisant la distribution de nourriture et d’eau et qui a condamné l’État pour non-respect des procédures légales d’expulsion. Mais aussi une solidarité active associative et citoyenne qui résiste face à une police bien décidée à la décourager.
Voilà un livre, organisé comme une suite de reportages, qui tient en haleine, tout en entretenant une forme de des(espoir) à méditer.