Suzanne

POMMIER Frédéric, Ed. Equateurs, 2019, 235 p.

Frédéric Pommier nous livre ici une adresse pleine de tendresse et d’affection, mais aussi remplie de colère froide et d’indignation à un être qui lui est cher : sa grand-mère. Il nous décrit cette vieille dame de près de 97 ans, en faisant alterner sa vie d’avant et celle d’après son entrée en EHPAD. Avant, ce fut un véritable roman : née en 1922, elle a connu les allumeurs de réverbères parcourant le quartier avec un perche en bambou. Elle a suivi, donnant la main à son père, le cortège triomphal venant célébrer la traversée de l’Atlantique en avion, en 1930. Son voyage de noces, elle l’a vécu sous les bombardements alliés. A 40 ans, elle se retrouve veuve, mais va continuer à vivre intensément. Jusqu’à ce que la dépendance la rattrape, rendant une surveillance médicale permanente incontournable. Elle entre en établissement. Que reste-t-il de ce parcours riche de tant de souvenirs ? Ayant gardé toute sa tête, ils peuplent sa mémoire. Mais ils s’entrechoquent avec l’humiliation, la déchéance et l’indignité vécues dans un espace qui devrait être dédié à une fin de vie apaisée. Des toilettes exécutées à la va-vite. Une douche par semaine et un shampoing tous les quinze jours. Des jambes écorchées à chaque fois qu’on enfile des bas de contention. Une nourriture insipide, sans forme, ni odeur. Trois employées pour gérer un réfectoire de quatre vingt dix résidents. Et puis, ces réflexions méprisantes ou infantilisantes de certains personnels. Cette grande brune qui lui amène le goûter et répond à sa sollicitation pour changer l’eau du vase : « je ne suis pas payée pour m’occuper des fleurs ». « C’est quoi ça ? » s’exclame une autre en brandissant sous le nez de la vieille dame, des matières fécales retrouvées près des toilettes. Nos aînés méritent mieux que cette fin de vie aussi odieuse qu’indigne.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1260 ■ 28/10/2019