Etat des drogues, drogues des Etats

Observatoire géopolitique des drogues, édition Hachette-Pluriel, 1994, 322 p.

L’Observatoire géopolitique des Drogues se propose de faire le point chaque année sur l’évolution à l’échelle mondiale de la production et du trafic des différents types de stupéfiants.

Faisant suite à un premier rapport paru en 1992, ce document propose un véritable état des lieux continent par continent. C’est là un exercice tout à fait saisissant qui apporte une vision globale et un point-de-vue d’ensemble sur un phénomène en pleine évolution. Hors de toute raison d’Etat ou de fioritures  diplomatiques, ce rapport dénonce les corruptions et les complicités, les hypocrisies et compromissions à quelque niveau qu’elles interviennent.

On peut distinguer tout d’abord, une première catégorie de pays désignés sous le vocable de “ narco-Etats ”, qui ont fait de la production de stupéfiants leur principale source de devises, impliquant en cela les plus hautes autorités administratives et politiques, policières et judiciaires, bancaires et commerciales dans la gestion et la protection du trafic. Il en va ainsi de la Birmanie, premier producteur mondial d’opium, du Pérou qui détient le même record en ce qui concerne la feuille de coca et la pâte-base de cocaïne, du Pakistan pour l’héroïne, et enfin du Maroc pour le Haschisch.

D’autres pays encore se sont transformés en plaque tournante stratégique du trafic toujours sous la  houlette des plus hautes sphères de l’appareil d’Etat comme le Nigéria ou la Guinée Equatoriale qui utilise son personnel diplomatique comme support à un véritable réseau international !

Autre type de nations impliquées, celles qui subissent une pénétration moins visible et plus perverse par les intérêts du narco-trafic: achat d’entreprises, de médias, de juges, financement de campagnes électorales On retrouve dans cette catégorie des pays comme le Mexique, le Venezuela, la Colombie, la Thaïlande ou la Côte d’Ivoire, et dans une moindre mesure, l’Italie, la Pologne ou les Pays-Bas.

D’une façon détaillée, chaque pays est ainsi étudié du point-de-vue de la structuration des réseaux, des différentes voies prises par le trafic, du poids de l’argent de la drogue dans l’économie nationale, des circuits de blanchiment de l’argent sale, des  habitudes culturelles de consommation et des dérives liées à l’utilisation du territoire comme lieu de production ou de transit ...

Reste l’incontournable réalité économique qui permet au Tchad de rémunérer les 100 kg de Mil 120 F. quand dans le même temps la même quantité de chanvre indien est payé 5.000 F. ! Les trafiquants proposent alors aux paysans semence et même paiement d’avance de la récolte.

Tour du monde édifiant qui confirme l’ampleur de l’accroissement du trafic d’année en année et l’inanité d’une politique basée sur la seule répression qui même dans ses expressions les plus terribles (2000 exécutions de trafiquants en Chine entre 1989 et 1992) ne réussit pas à endiguer le flot.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°309 ■ 01/06/1995