L’hôpital: sans tabou, ni trompettes

SUGG Valérie, Éd Kawa, 2017, 225 p.

Comment parler d’un drame avec humour ? C’est le pari réussi de Valérie Sugg.

Quand elle compare les soignants à la déesse Shiva dotée de quatre bras ; quand elle rappelle qu’il vaut mieux prévoir quatre mois à l’avance une otite purulente avec perforation du tympan pour être sûr d’avoir un lit dans un service d’ORL ; quand elle rapporte que les soignants ont troqué leur paires de Crocs pour des baskets plus faciles pour courir dans tous les sens … c’est pour mieux laisser éclater sa colère : y a-t-il encore une activité intellectuelle et des connexions synaptiques dans le cerveau atrophié des capitaines du paquebot hôpital à la dérive ?

Pour le piloter, ils n’ont rien trouvé de mieux que de lâcher du lest, en se débarrassant d’une partie de leur personnel, en fermant des lits et supprimant des services. Alors que les besoins de soins suivent une pente ascendante, l’offre plonge dans les bas-fonds d’un gouffre sans fond ! Non seulement, les managers restent sourds aux appels à l’aide, mais ils persévèrent dans leur action de sabotage et de rabotage. Epargnant à tous les niveaux, blouses, masques, draps de lit, seringues, papier toilette manquent, mais en rendent responsables les personnels qui finissent par craquer et démissionner.

De la relégation progressive de l’auscultation manuelle favorisant le lien soignant/soigné au profit des radios et des scanners jusqu’au cadre hospitalier seulement préoccupé par les marges financières à respecter, en passant par la réduction des toilettes à 6,66 minutes par patient (quand il en faudrait cinq fois plus), les économies faites sur l’assiette du malade qui reste son seul plaisir de la journée ou encore les blouses dont on l’affuble attentatoire à son intimité et à sa dignité, c’est la litanie d’une déshumanisation programmée que l’auteur égrène.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1273 ■ 12/05/2020