L’américain

Franz-Olivier GIESBERG, Gallimard, 2004, 174 p.

« Je n’ai jamais cru au père Noël. On ne peut croire au Père Noël dans une maison où la femme est battue comme plâtre plusieurs fois par semaine » Ainsi commence Franz Olivier Giesberg, célèbre patron de presse, dans un récit autobiographique qui retrace avec beaucoup d’intensité l’histoire de son enfance. Sa mère, enseignante en philosophie est une fervente catholique qui personnifie la religion du sacrifice, poussant le don de soi jusqu’à l’hystérie. Elle acceptera toute sa vie d’être une femme battue, comme signe suprême d’abnégation. Son père, arrivé en France dans l’enfer du débarquement du 6 juin 1944, gardera toute son existence le traumatisme vécu, partagé entre une terrible violence conjugale et familiale et une culpabilité envahissante qui le submergeait après ses crises. L’auteur, aîné d’une fratrie de cinq, vivra son enfance dans une atmosphère délétère « je crois qu’on meurt toujours un peu, quand on entend sa mère se faire battre ». Ne pensant qu’à une seule chose, la vengeance, il condamnera son père au silence à perpétuité, ne lui adressant plus la parole. Malgré toutes ses tentatives de ce dernier pour renouer le dialogue, pas une seule fois, il ne dérogera à sa résolution « Jamais je ne laisserai crever le pan de silence que j’ai installé entre lui et moi » … jusque sur son lit de mort ! Il prendra l’habitude d’adorer tout ce que son père vomissait, y compris le journalisme dont, ultime affront,  il fera son métier. Préposé à l’exécution des animaux de ferme élevés par la famille, il s’interroge aujourd’hui si ce n’est pas son père qu’il massacrait au travers de ces gestes « je ne le crois pas. J’aurais éprouvé du plaisir. Or, il n’en était rien » Il est fréquent, affirme l’auteur, que les récits intimes soient geignards. Ils sont l’œuvre de vaniteux, de vaticinateurs ou de pleurnichards qui battent leur coulpe sur les poitrines des autres en racontant tout le mal qu’on leur a fait. Franz-Ollivier Giesberg s’est construit sur la haine portée à son père. Aujourd’hui, il lui a pardonné. Et, s’il a eu besoin d’écrire son histoire, c’est « pour me délivrer du chagrin de n’avoir jamais donné à mon père l’occasion de me parler » Ecrit dans un style à la fois sobre et magnifique, ce récit va bien au-delà du témoignage personnel. Il nous plonge dans un vécu qui permet de comprendre les mécanismes de résilience qui peuvent se mettre en place : vivre dans le défi permanent lancé au parent maltraitant, se construire dans une volonté farouche de survivre malgré son influence destructrice. Energie sans faille, ni limite qui permet de s’en sortir et de réussir. Le blessure existe toujours : elle a été pansée pour permettre de mener sa vie, malgré tout. Elle s’est réouverte de nombreuses années plus tard et aura peut-être été cautérisée grâce à un livre.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°737 ■ 20/01/2005