Papa a fait mal. Le cauchemar judiciaire d’un couple ordinaire

Anne et Philippe SIRVENT, Calmann-Levy, 2004, 296 p.

Les forces de police et les magistrats se trouvent toujours au premier rang dans le traitement judiciaire des affaires d’agression sexuelle sur mineurs ... mais rarement dans la position du suspect. C’est la terrible expérience qu’ont vécu Philippe et Anne Sirvent, respectivement officier de police et juge. Le couple a pris de plein fouet toute la procédure appliquée par notre justice, en cas de suspicion de maltraitance : signalement, mise en examen, éloignement du milieu familial, expertise et contre-expertise médicale, avec en prime le soupçon et la rumeur, l’opprobre et la honte, les collègues qui ne vous connaissent plus, les amis qui vous tournent le dos… Mais, peut-on vraiment s’apitoyer sur le sort d’adultes qui, reniant leur rôle protecteur, se sont mués en agresseur sur la personne de leur propre enfant ? Pas vraiment ! On est plutôt tenté de s’intéresser au sort de la petite victime. Sauf, peut-être si la personne mise en cause s’avère finalement innocente. Là, on hésite un petit peu plus. Pour ce qui concerne, Philippe Sirvent, il a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu. Il n’a pas été innocenté, les poursuites ont été abandonnées… par manque de preuves suffisantes. Aussi le couple a-t-il décidé de tout rendre public par un livre. Il y a d’abord ce dont leur fille a été témoin : un père hurlant de douleur, après qu’il ait chuté dans la salle de bain et se soit heurté brutalement le bas ventre. Le « Papa a fait mal là » que rapportera l’enfant à sa maîtresse sera compris par elle « Papa m’a fait mal, là » (pourtant, à trois ans, elle n’emploie pas encore la forme pronominale). Puis, il y a une première expertise médicale qui décrète que son hymen a été abîmée. Deux contre-expertises prouveront finalement le contraire. Il y a enfin les tests dits « patte noire » passés auprès de la psychologue. L’enfant s’arrête stupéfaite devant une image représentant un jard mordant la queue d’un petit cochon. Fascinée depuis des mois par le conte des trois petits cochons, sa surprise a du être vive de constater que cette fois-ci, ce n’était pas un loup soufflait sur la maison du goret… Aujourd’hui, la famille Sirven n’a plus à faire à la justice. Les parents ont repris leur travail : l’exercent-ils différemment, après avoir pris conscience des dérives potentielle de la machine qui les emploie ? « Nous sommes souillés par l’existence même de la procédure, mais nous voilà également totalement impuissants devant ce monstre froid, mû par des juges et des auxiliaires de justice conditionnés dans les moindres recoins de leurs actes et pensées » (p.263) Quant à la petite fille, elle n’a pas retrouvé tout à fait son papa d’avant. Celui-ci hésite dans ses gestes de tendresse. Il a adopté un comportement empreint de réserve et de crainte « et si elle allait raconter à sa maîtresse que je lui ai fait des bisous dans le cou ? »

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°738 ■ 27/01/2005