Le fils favori

Joël ARES, Editions du Rocher, 1988, 108 p.

L’enfer existe : Joël Arès l’a rencontré. Le récit qu’il nous en fait est rien moins que terrifiant. Celui qui s’exprime a traversé une enfance et une adolescence qui aurait pu le mener à l’anéantissement. Les dix premières années de sa vie sont marquées par la violence et les disputes parentales dont il est l’une des principales victimes. Cette période traumatisante commence par un hématome sous-cutané à l’âge de 10 mois et se termine  par le suicide d’une mère épuisée et sans espoir. Lui succèdent 6 années au cours desquelles en plus d’être battu, il est régulièrement violé par son père. “ Avec le temps, je me suis convaincu que c’était moi la créature immonde et que j’allais donc inévitablement devenir à mon tour un énorme monstre obsédé par le sexe.” Et l’adolescent de tout fusionner : passé, présent, avenir, sexe, drogue, alcool, plaisir, désir, obscénité dans un sacrifice offert sur l’autel de son corps et de sa personnalité, 10 ans durant il se livre aux hommes du même âge que son père. “ J’ai mis des années avant de pouvoir me regarder dans un miroir, sans avoir envie de vomir.” Pourtant deux Joël subsistent : celui qui s’inscrit dans le devenir que semble lui avoir fixé son père et celui qui passe son Bac et poursuit ses études. C’est cette schizophrénie miraculeuse qui lui permettra de s’en sortir. Après avoir cherché en vain de l’aide du côté de sa fratrie, il trouvera la force de régler ses comptes avec son père en lui donnant rendez-vous. Il lui reprochera ses comportements et ses actes et réussira ainsi à tourner la page de cette partie de sa vie. “ Je ne vis plus dans le souvenir de ma mère, je ne vis plus dans la haine de mon père, je ne vis plus dans le silence de ma famille, mais je ne suis pas certain d’exister pleinement du fait de ce cri que j’ai étouffé trop longtemps ”. Pathétique hurlement de souffrance, cet opuscule constitue aussi un fantastique témoignage d’espoir pour toutes celles et tous ceux qui ont subi dans leur corps et dans leur être la violence impensable de l’inceste. Joël Arès démontre par son cheminement que l’enfance brisée ne débouche pas que sur le néant.    

                                                                      

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL  ■ n°461  ■ 05/11/1998