Maltraitances - Enfants en souffrance

Pierre LASSUS, Stock, 320 p, 2001.

L’ouvrage de Pierre Lassus est écrit avec cette force, cet humanisme et cette révolte qui caractérisent beaucoup celles et ceux qui ont décidé de combattre la barbarie que notre société civilisée impose encore  à un nombre encore trop important de ses enfants. Et pourtant, l’auteur le reconnaît : lui aussi a fait partie de ces professionnels qui ont imputé la cause des maltraitances à leurs victimes en raison même de leur méchanceté ou de leur perversité. Est-ce pour compenser cet aveuglement qu’il s’avance à des généralisations parfois bien hâtives ? Ainsi en va-t-il de l’identification de l’origine des comportements de l’immense majorité des délinquants et des criminels, ainsi que des déficiences de la plupart des enfants dits inadaptés, psychopathes, caractériels ou débiles à la maltraitance. Mais aussi, de l’accusation grave portée contre « la quasi totalité des foyers départementaux de l’enfance » qui pratiqueraient « l’hébergement de victimes d’agression sexuelle dans des dortoirs collectifs. » (p.26) Nous ne doutons pas un seul instant que Pierre Lassus puisse produire à l’appui de ses affirmations, l’étude épidémiologique idoine ainsi que l’enquête auprès de la centaine de départements français qui possèdent un foyer de l’enfance... Mais il ne faudrait pas que les quelques outrances que l’on peut relever ça et là, détourne le lecteur. L’auteur nous renvoie une image de la maltraitance qu’il se refuse à limiter ou à banaliser. Que ce soit au sein des familles d’accueil des services qu’il a dirigés ou dans les évènements les plus récents (le chauffeur de l’IME de l’Yonne ou l’instituteur de Cormeilles), dans les biographies des criminels (marchant ainsi sur les traces d’Alice Miller, à laquelle il rend d’ailleurs un hommage appuyé) ou dans les récits de Jules Vallès, de Jules Renard ou de Louis Ferdinand Céline, Pierre Lassus rappèle que la maltraitance est un fléau social majeur que l’humanitaire, le compassionnel ou la prudente recherche de la vérité ne suffiront pas à éradiquer. De par sa position de Directeur de l’Union Française de la sauvegarde de l’Enfance, il est bien placé pour souligner « le travail remarquable que de nombreux professionnels, travailleurs sociaux, médecins, juge ou thérapeutes  accomplissent au quotidien et souvent dans des conditions difficiles » (p.297). Mais, il les met en garde contre le travail de démolition que représentent à ses yeux l’idéologie du maintien à tout prix des liens avec les parents ou la remise en cause du rôle premier et incontournable que devrait avoir le traitement judiciaire de la maltraitance (« le recours à la loi est une nécessité cruciale pour restaurer l’ordre symbolique qui a été transgressé » (p.261), sans oublier les travaux sur les fausses allégations. Que l’on soit d’accord ou pas avec les convictions que l’auteur défend ici, son ouvrage écrit avec talent vaut le coup d’être lu.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°595 ■ 01/11/2001