Le travailleur social et l’enfant maltraité: enjeux d’un face a face

Marcelle BONGRAIN, l’Harmattan, 1994, 151 p.

Voilà donc le corps des Assistants de Service Social croqué par une juriste pur fruit.

Le résultat est fort sympathique et permet un rappel salutaire et intéressant sur le face à face entre le travailleur social d’un côté et l’enfant maltraité et sa famille de l’autre sous l’angle du droit.

L’ouvrage rappelle tout d’abord les différentes étapes de la mise en place du dispositif de protection de l’enfance. L’émergence au début du siècle des premières A.S. plus chargées de veiller à la santé et à l’hygiène au sein des familles. Puis, l’apparition des premiers services sociaux auprès des tribunaux chargés des enquêtes sociales et qui seront officialisés en 1935. En 1945, sont créés coup sur coup, l’Education Surveillé, le Juge des Enfants, le service de Protection Maternelle et Infantile et celui de Santé Scolaire. En 1959, l’Aide aux familles rentre dans les attributions de l’A.S.E. Enfin, 1989 est l’année de la loi sur la maltraitance qui rend obligatoire le signalement à l’autorité soit administrative soit judiciaire.

La France possède cette originalité de posséder deux circuits bien distincts de protection: au niveau administratif tout d’abord dans une logique de prévention (il y a alors adhésion des familles puisqu’il y a signature d’un contrat), au niveau judiciaire ensuite uniquement en cas d’un danger réel (et qui intervient sur ordonnance). Au passage, l’auteur relève l’erreur courante qui amène nombre de travailleurs sociaux à parler de « mandat de protection de l’enfance » ou de « mandat du Juge des Enfants », alors qu’au sens strictement juridique le mandat n’intervient que dans  la délégation d’une action juridique. Ici, il s’agit bien plus d’un « mandement » (au sens d’instruction) en vue d’une action éducative et sociale.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée au secret professionnel. Conditions et modalités de l’obligation du silence sont ainsi étudiées de près au vu notamment du nouveau code pénal. La jurisprudence est riche d’arrêtés reconnaissant le droit des assistants sociaux de ne pas témoigner sur des faits ayant été connus au cours de leur fonction. Par contre, dans le cadre d’une enquête comme expert judiciaire, ils ne peuvent se retrancher derrière leur silence. Ce secret doit-il être conçu de façon absolue (même si l’intéressé donne son accord) ou bien relative (secret partagé concernant des renseignements nécessaires et suffisants au déroulement de l’action sociale).  « Il est essentiel de dire tout ce qui est utile, mais il n’est pas indispensable de tout dire »: finalement ce qui doit guider dans la révélation ou la non-révélation, le partage ou non d’infos, c’est l’intérêt de la personne concernée !

Dernier thème abordé: celui concernant la prévention pour laquelle de nombreux progrès et initiatives ont été réalisées avec toutefois le regret des difficultés qui s’accumulent (manque de personnels, engorgement de la polyvalence de secteur, ...).

Se plaçant de son point de vue de juriste, Nicole Bongrain s’étonne (pour ne pas dire qu’elle s’offusque) à plusieurs reprises de la réticence des travailleurs sociaux à révéler les actes de maltraitance. Parmi toutes les raisons qu’elle liste, il en manque toutefois une: le résultat parfois catastrophique de certaines interventions judiciaires qui, cherchant les sacro-saintes « preuves »,  comme un éléphant dans un magasin de porcelaine n’arrive qu’à provoquer un non-lieu qui s’accompagne d’une rupture de la famille avec les services sociaux.

 

Jacques Trémintin -  Mai 1995