L’adolescent face à son corps

Annie Birraux, Bayard Editions, 1994, 204 p.

Voilà un ouvrage incontournable pour toute personne intéressée par la problématique de l’adolescence et soucieuse de répondre aux questionnements que cette classe d’âge pose. Ce sujet fait souvent l’objet de développements assez conventionnels. Annie Birraux, elle, nous propose de superbes pages que l’on se délecte à lire.

Annie Birraux est psychiatre. Elle est aussi psychanalyste. Si elle nous livre ses réflexions concernant les implications de cette école sur la compréhension de l’adolescence, elle ne s’en tient pas à cela. Tout au contraire, elle explique l’impossibilité d’un discours qui se voudrait exhaustif et la nécessité d’ouvrir sur toutes les transversalités possibles.

La puberté ne se confond pas avec l’adolescence. Si la première recouvre l’ensemble des changements biologiques et anatomiques et correspond ainsi à un phénomène universel, la seconde est avant tout le travail psychique qui se fait en vue de l’assimilation de ces nouvelles données. Si certaines sociétés gèrent ce passage à la génitalité grâce à la ritualisation et la mise en scène, d’autres laissent s’exprimer cette phase de transition d’une façon plus spontanée. Et c’est bien le corps qui dans un cas comme dans l’autre se trouve à la croisée du biologique et du psychique. Il constitue en fait le support essentiel du triple remaniement qui se manifeste à cet âge. Il faut d’abord à l’adolescent gérer la transformation de son organisme: l’évolution physique et spatiale passant alors par un abandon de ses repères infantiles. Il y a ensuite l’émergence de la sexualité qui ne pourra être correctement assumée qu’avec la prise de conscience de la complémentarité des sexes. Enfin, les relations avec l’environnement passera par la symbolique d’un corps utilisé comme moyen de communication et d’expression: le vêtement, véritable seconde peau pourra modifier l’éprouvé narcissique du sujet.

Le vécu de ces bouleversements n’est pas toujours facile: paisible dans certains cas, traumatisant dans d’autres. Parmi les réactions possibles, on trouve le déni qui se manifeste notamment sous la forme de l’anorexie. Le passage à l’acte reste plus fréquent: souvent décrié, il constitue en fait la première étape de l’élaboration et du travail psychique en cours. C’est là une forme de langage : il est normal que l’adolescent ne dise pas mais fasse. C’est l’accès au formel, à l’abstraction et à la logique qui permet de canaliser la poussée pulsionnelle. Autre façon de réagir: pour faire taire le corps, il ne s’agit non plus de penser mais de se dépenser: le sport sert alors de refuge face aux modifications du corps.

Dans cette phase délicate de sa vie, rien de remplace pour l’adolescent une auto-évaluation qui soit juste sans excès ni fausse modestie. Seuls les sujets ayant acquis dans leur petite enfance le sentiment d’une valeur propre renvoyée par ses parents  pourra se jauger équitablement à l’épreuve de la réalité et de ses jugements.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°313 ■ 29/06/1995