Adolescents de l'illimité

POURTAU Anaïs et MARTY Marie-Cécile, Ed. Chronique Sociale, 2015, 158 p.

Qu'il est parfois difficile de comprendre les comportements énigmatiques qui défient tant l'entendement chez ces enfants et ces jeunes dits incasables qui ont désespéré leur famille et les professionnels, car trop explosifs et intolérants à la moindre contrariété. Qu'il est réjouissant de lire les propos intelligents et d'une grande finesse, tout en nuance d'Anaïs Pourtau et Marie-Cécile Marty décrivant la détresse et l'excès, tout en respectant la complexité de ces adolescents de l'extrême. Désaffiliés de leurs racines, mais parfois en quête de leur origine ; déserteurs des lieux proposés, mais toujours en recherche d'un accueil humain ; décrochés de l'école et pourtant aspirant souvent à la normalisation, ils constituent des paradoxes permanents. Hors des murs de l'institution, ils semblent parfois totalement sous l'emprise de la destruction. Les quelques béquilles existantes ont rompu, sous le poids du réel. Ils parcourent la cité lors de longues échappées, ce qui fait dire à leurs éducateurs qu'ils prennent leur foyer pour un hôtel. Et quand ils se posent, c'est pour se livrer au déchaînement pulsionnel, le moindre incident provoquant l'éruption volcanique. Chacun des empêchements du quotidien est comme un refus à leur être entier. Ils mettent tout en oeuvre pour ne se laisser submerger par rien de ce qu'il leur semble insupportable : la moindre frustration les fait exploser. Leurs bouches avides débordent en rire, grossièretés et cris, réclamant friandises, cigarettes, alcool et autres absorptions expresses. Ils souffrent de blessures éprouvantes : caries aux dents abîmées, fractures mal cicatrisées, maux de dos, maladies de peau, parasites ou virus insistants. Leurs nuits sont parcourues d'insomnies et d'angoisses incommensurables: peur de dormir seul, peur de l'insondable noir grouillant de réminiscences infantiles archaïques. Les conduites à risque sont une manière pour eux d'éprouver leur corps. Rencontrer un congénère, c'est monter sur un ring. Sans refoulement, ces jeunes sont à vif, leurs multiples traumatismes les propulsant au bord du précipice. Les limites ne sont pas symboliques et les interdits fondamentaux ne dessinent pas pour eux des frontières. De la rencontre avec des adultes ressources naîtra peut-être la possibilité de renoncer à la stratégie qui les protège du désespoir. Mais, attendre une demande d'aide de leur part conduit à l'échec. Accueillir leur souffrance, réfréner leur jouissance, offrir une présence accueillante et résistante pas trop lâche, ni trop étouffante, c'est tout l'enjeu d'une présence réelle qui se risque. Toute relation créée avec chacun est forcément unique, mouvante et vivante. Les choses importantes se disent et s'entendent dans les situations inattendues. Il s'agit de cheminer avec l'autre comme il est, à partir de ce que nous comprenons de sa réalité à lui et de ce que nous sommes.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1192 ■ 29/09/2016