Bientraitances: mieux traiter familles et professionnel

Sous la direction de Marceline Gabel, Frédéric Jesu et Michel Manciaux, éditions Fleurus, 2000, 454 p.

Professionnellement, on attache toujours trop d’importance à ce qui va mal par rapport à ce qui va bien. Si on arrive aujourd’hui à comprendre les éléments constitutifs des mauvais traitements, la recherche autour des conditions d’une bientraitance en est encore à ses débuts. Cette démarche a néanmoins fait son chemin dans la réflexion collective, au point de regrouper autour de ce thème plus de trente deux chercheurs et praticiens, dans un ouvrage édité par les éditions Fleurus. Ce livre prend sa place dans une collection bâtie autour du même souci de proposer des contributions multiples qui s’avèrent d’une grande richesse et sont à la fois passionnantes et complémentaires. Cette lecture apporte une approche pointue de l’état des connaissances à un moment donné. Dans cette recension qui ne peut être que partielle, nous explorerons trois directions abordées dans l’ouvrage : une tentative de définition de cette bientraitance, une approche des facteurs qui la favorisent et la nécessaire réhabilitation des rôles parentaux.
Définition d’abord qui tente d’écarter les dérives que sont l’approche minimaliste qui consisterait à limiter son contenu aux seules bonne santé et bonne alimentation de l’enfant ou encore la perception par trop normative qui stigmatise plus qu’elle ne permet d’identifier les difficultés et souffrances vécues. L’un des schémas proposés identifie « quatre dimensions : affective, cognitive, sociale et idéologique. A chacune de ces dimensions correspondent trois dimensions spécifiques de l’enfant, qui impliquent des catégories d’attitudes et de comportements chez les parents. » (p.74) La bientraitance devrait alors correspondre à des réponses adéquates apportées aux besoins respectivement d’attachement, d’acceptation, d’investissement, puis de stimulation, d’expérimentation et de renforcement et encore de communication, de considération et de structure de l’enfant, le tout étant consolidé par des valeurs porteuses du groupe familial. Mais on retiendra aussi la contribution de Bernard Monnier, dont le simple titre d’éducateur spécialisé jure avec les présentations à rallonge de la plupart de ses coauteurs, mais dont l’écrit est particulièrement brillant et qui livre une définition qui mérite d’être citée : « favoriser et permettre la construction chez chaque jeune d’une identité (soi et estime de soi), d’une socialité (pouvoir différer la satisfaction du désir et d’engager dans une relation et un dialogue avec l’autre fondé sur la considération et le respect) et d’une altérité (considérer l’autre comme une personne, c’est à dire un être à la fois différent et identique à soi-même, et découvrir le monde) » (p.164).
Parmi les facteurs favorisant ou défavorisant cette bientraitance, il convient de repérer le contexte, car un même élément peut fort bien dans certains cas stimuler et dans d’autres conditions être tout à fait préjudiciable. Pour autant, certaines circonstances peuvent être considérées comme aggravantes telle l’instabilité familiale, le nombre élevé d’enfants, les grossesses rapprochées, la santé mentale, l’alcoolisme ou la toxicomanie des parents, leur faible estime de soi ou leur aptitudes parentales limitées. Ce qui pose problème en la matière étant bien, non pas la présence de tel ou tel facteur pris individuellement, mais la multiplication du nombre d’entre eux présents au sein de la même famille. On évoque fréquemment les conséquences des conditions socio-économiques. On sait que la maltraitance est présente dans toutes les classes sociales, mais qu’elle est souvent plus visible dans les milieux les plus pauvres traditionnellement plus surveillés. Les conditions matérielles de vie difficiles ne sont pas en elles-mêmes des facteurs de risque, même si elles abaissent le seuil de tolérance et favorisent les passages à l’acte. Mais là aussi, la pauvreté n’est pourvoyeuse de mauvais traitements que dans la mesure où la société tolère le développement de telles situations d’iniquité. Parmi les éléments tout au contraire favorables, on retrouve ceux qui relèvent de la résilience (capacité au bon développement, au maintien des compétences malgré le stress et à une bonne récupération après le traumatisme) : stabilité émotionnelle, perspicacité, aptitude aux relations, extraversion (qui rend les sujets entreprenants, sociables et enthousiastes), bonne estime de soi etc... la présence d’un adulte capable d’établir une relation de confiance avec l’enfant étant là encore souligné.
Mais la bientraitance ne peut être envisagée sans que soit réactivée la juste place des parents trop souvent stigmatisés et démissionnés. Car des parents plus respectés, mieux reconnus et soutenus dans leurs compétences et leurs responsabilités seront à leur tour plus respectueux et protecteurs pour leurs enfants qui, nourris de cette image parentale positive, s’inscriront, eux aussi dans une parentalité cohérente et propice aux bons traitements. Toute l’action sociale en faveur de l’enfance tend depuis 1975 à réduire la part de substitution aux parents pour accroître l’intervention dite de suppléance dans une logique d’écoute, de dialogue d’échange, de partage, de revalorisation, de guidance, etc … dans ce qui relèverait d’une co-éducation où toutes les instances concernées par le devenir de l’enfant s’efforceraient d’entrer dans une relation de complémentarité. L’ouvrage consacre une longue partie de son développement à la description d’expériences de soutien et d’accompagnement de cette parentalité.
Parmi les nombreuses contributions proposées au lecteur, on lira plus particulièrement avec grand intérêt celles de Marceline Gabel et Michel Lemay toujours aussi pertinents et percutants. La première porte sur les incohérences des politiques en faveur de l’enfance qui s’illustre depuis trente ans par une multiplication de textes s’ajoutant les uns aux autres sans grande homogénéité, les uns venant parfois répéter ce que disent les autres, en semblant les ignorer. Le second s’intéresse tout particulièrement aux conditions permettant aux professionnels chargés de veiller à la bientraitance, d’être eux-mêmes « bien dans leur peau ».

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°532 ■ 18/05/2000