La soumission librement consentie

Robert Vincent JOULE & Jean-Léon BEAUVOIS, puf, 1998, 214 p.

Dix ans après la parution de leur “ petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens ” (cf "Petit traité de manipulation"), nos deux psychosociologues récidivent. On laissera leurs détracteurs hurler au cynisme ou au comportementalisme, et on dégustera avec délectation cette démonstration étonnante du fonctionnement humain. Chacun peut se retrouver tout au long des pages en découvrant qu’à l’image de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, il manipule son prochain sans en être forcément conscient. Les mêmes mécanismes servant les causes nobles comme les causes les plus sombres, autant apprendre à les identifier d’abord pour s’en défendre mais aussi pour s’en servir à bon escient.

Les auteurs démontrent  que les stratégies de motivation et de persuasion couramment utilisées sont la plupart du temps tout à fait inefficaces pour transformer les comportements. Tout comme les pratiques de renforcement que sont les punitions et les récompenses qui voient leurs effets positifs ponctuels disparaître dès que la pression exercé se relâche. En réalité ce n’est pas le changement des idées qui provoque la modification des attitudes mais bien le contraire : c’est ce qu’explique la théorie de l’engagement. Ce qui compte c’est d’obtenir de l’individu qu’il pose un acte, aussi minime soit-il, qui commence à l’engager. Cette démarche sera renforcée dès lors qu’elle sera déclarée libre et justifiée par des motivation d’ordre interne (hors de toute contrainte ou de gratification), qu’elle aura un caractère irréversible, public et explicite (réalisée donc en connaissance de cause). Si tous ces facteurs ne sont pas indispensables, plus ils sont nombreux, plus le taux de réussite dans le changement de comportement sera élevé. Bien entendu, les auteurs fournissent de multiples illustrations démontrant la pertinence de leurs hypothèses. Ainsi de cette campagne contre les accidents du travail dans une entreprise ou pour la prévention du SIDA auprès de lycéens. Dans chacune des populations concernées, un groupe faisait l’objet d’une sensibilisation et d’une information habile et performantes. L’autre était soumis à une procédure d’engagement consistant dans le premier cas dans la rédaction d’un questionnaire particulièrement impliquant rédigé librement et dans le second cas dans une pétition en faveur de l’installation d’un distributeur de préservatifs proposé à la signature. La mesure des changements obtenus dans les comportements à risque des uns et des autres plébiscitent largement la seconde méthode.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°496 ■ 22/07/1999