La révolte de la psychiatrie

BELLAHSEN Mathieu et KNAEBEL Rachel, Éd. La Découverte, 2020, 240p.

Les forces néolibérales, à l’œuvre depuis les années 1980, n’ont eu de cesse que de soumettre toute la société à la norme de la concurrence. La psychiatrie n’y a pas échappé. C’est en 1968 qu’elle s’était émancipée de la neurologie, en affirmant une identité privilégiant la relation, l’émancipation du sujet, la démocratisation des rapports entre patient et institution et la promotion de la dimension humaniste du soin. Les auteurs nous décrivent la descente aux enfers consécutive à la prise du pouvoir par un management faisant primer la rationalisation des dépenses sur toute préoccupation médicale. La première étape dans cette mutation a consisté à rapprocher progressivement le dérèglement psychiatrique des autres affections somatiques, en cherchant à le réduire à une maladie comme une autre. L’imagerie médicale utilisée par les neurosciences a été instrumentalisée pour rapprocher les mécanismes spécifiques du psychisme avec la matérialité du substrat neurologique. L’expérimentation en laboratoire est venue remplacer l’approche des sciences humaines. L’intelligence artificielle est même mise à contribution pour programmer des applications susceptibles de déterminer un risque de rechute, pourvu que le patient renseigne régulièrement son smartphone sur son état mental ! La seconde mystification a pris la forme d’un changement de financement dorénavant fondé sur des indicateurs mesurables, standardisés et reproductibles. Les praticiens se voient contraints de coder chaque acte qu’ils posent dans des cases préétablies, procédure censée permettre d’évaluer la rentabilité et la performance de leur action. Troisième attaque, la mise à mort progressive du service public au bénéfice du privé : si, entre 1980 et 2016, le premier est passé de 120 000 à 41 000 lits, le second a résisté avec 13 300 contre 18 000, près de quarante ans auparavant. Enfin, dernière entourloupe, le définancement des institutions médicales et médicosociales, des allocations versées aux familles s’y substituant pour leur permettre de payer elles-mêmes des prestataires libéraux de leur choix. Les auteurs terminent leur ouvrage en décrivant tous les mouvements et actes de résistance qui se sont déployés ces dernières années, pour faire valoir que l’être humain ne peut se résumer ni à une équation scientifique, ou à un code génétique, ni à un dosage hormonal ou à des connexions neuronales.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1270 ■ 31/03/2020