Terminus 13

ADAM Michelle, Ed. Librinova, 2022, 216 p.

Que peut faire une éducatrice de la Protection de la jeunesse, après quarante ans d’une carrière bien remplie ? Profiter d’un repos bien gagné, d’abord. Mais aussi s’essayer, avec succès, à l’écriture.

Michèle Adam a commencé par l’excellent « Enfant en justice ». Ce premier livre dressait le saisissant portrait de vingt mineurs placés sous-main de justice ( Enfants en justice - Michèle Adam. ). Quatre autres ouvrages ont suivi, dont ce petit dernier. La démarche qui a présidé à sa conception est originale, suscitant des rencontres peu banales décrite avec une écriture particulièrement ciselée. « Souvent les retraités s’en vont à l’étranger, moi j’ai décidé de visiter l’endroit où je vis… » explique-t-elle, d’emblée.

Pour ce faire, l’auteure a adopté l’allure d’une promeneuse, choisissant de déambuler là où ses pas la menaient. Pour mieux identifier les détails du territoire qu’elle souhaitait décrire, elle a emprunté les transports en commun. L’utilisation des lignes de bus le sillonnant lui permirent alors de gagner du temps en le perdant. Car c’est justement la lenteur du rythme de ses déplacements qui aiguisa un regard posé et attentif, qu’aucun trajet avec une voiture sillonnant le même espace n’aurait jamais permis.

Entre le 23 mars et 24 juillet, la voilà lancée dans 34 escapades insolites, au cours desquelles le goût de l’autre et la bienveillance se mêlèrent à la curiosité. Bien sûr, le lecteur pourra hésiter face à la localisation précise des lieux visités. Décrire la région proche de Saint Nazaire, à l’embouchure de la Loire, pourrait sembler réservé aux seuls familiers de la région. Pourtant, il y a une dimension universelle dans cette démarche sensible et gourmande qui cherche à ouvrir les yeux sur tout ce qui nous entoure. Trop souvent, notre regard survole, notre attention papillonne, notre intérêt s’éparpille. Là, Michelle Adam s’attache aux détails, insiste sur l’insignifiant, révèle l’invisible.

Il est possible d’établir un parallèle entre cette déambulation et l’étude de territoire d’une équipe de prévention spécialisée. Lors d’une implantation dans un nouveau quartier, les éducs de rue agissent de la même façon, pour mieux connaître les recoins de l’espace où ils vont intervenir et pour croiser les habitants, au hasard des rencontres. La différence, c’est que leur cheminement cherche aussi à se faire voir, identifier et accepter, ce qui n’est pas le cas de l’auteure. Pourtant ce qu’ils partagent en commun, c’est ce même souci de découvrir, de comprendre et de se familiariser.

Mais, au fait qu’y trouve-t-on, exactement, dans ce récit ? L’auteure décrit très bien sa démarche : « ce livre n’est pas un guide à l’instar du guide du Routard ou du Guide Michelin, c’est un simple récit de rencontres avec des gens, des paysages, une faune sauvage, des fontaines et des lieux de mémoire ». Cet art consommé de l’observation, Michelle Adam l’a cultivé toute sa carrière d’éducatrice, rompue au décodage des situations abordées. Voilà une déformation professionnelle bienvenue !

Il y a ces lieux dotés d’une banalité remarquable. Ceux qui nous voient passer depuis tant d’années, mais que nous avons perdu l’habitude de regarder, les ignorant quand nous les croisons. C’est cette épicerie de jadis, pourtant encore vaillante, dont l’auteure se plait à humer les chaleureuses odeurs. Vous savez, celles-là même où voisinaient à côté de la nourriture ces boules de bleu pour blanchir le linge. Ce sont ces chapelles, ces calvaires, ces monuments aux morts ou ces statues insolites qui trônent comme autant de marqueurs de notre histoire. Ce sont aussi ces plaques commémoratives de parfaits inconnus … que personne ne cherche plus depuis longtemps à connaître ! Qui sait encore la vie de Madeleine Brès qui eut l’honneur d’être la première femme à devenir médecin en 1875 ?

Et puis, il y a toutes ces rencontres inattendues autant qu’éphémères. Rachid, croisé dans un abribus, jeune homme sans logis à qui Michel Adam ne peut s’empêcher, chasser le naturel il revient au galop, de proposer de le mettre en contact avec les services pouvant l’aider. Mais la solidarité n’est pas à sens unique. A preuve, cet ouvrier qui lui propose son aide, alors que par maladresse, elle chute brutalement à terre. Au gré de ses pérégrinations, elle engage la conversation avec cette vieille dame que son chien promène chaque jour. Ou encore cette jeune Erythréenne, assise à côté d’elle, qui épuisée par sa journée de travail de 11h, s’endort, laissant sa tête s’affaisser sur son épaule. Et puis ce vieux monsieur d’environ 70 ans aux paupières gonflées de ceux que la vie n’a pas épargnés et qui seraient déjà mort sans les perfusions du sang de la vigne.

 

Voilà un écrit déroutant qui réhabilite le temps qui passe et le rythme lent de la vie. Il donne du sens à l’insignifiant. Il donne de l’importance au futile. Il se focalise sur le négligeable. Le lecteur pressé se lassera peut-être. D’autres seront pris par la magie du verbe et la force poétique de cette improbable déambulation. Au risque, allez savoir, de sortir à leur tour de chez eux pour s’en aller flâner au hasard. Il ne suffit pas de grand-chose pour entamer l’aventure de la découverte de ce qui est sous nos yeux mais que nous ignorons si souvent.