L’erreur est humaine aux frontières de la rationalité

BERTHET Vincent, CNRS éditions, 2021, 218 p.

La psychologie comportementale a le vent en poupe, détrônant une psychanalyse en perte de vitesse. L’occasion, grâce à ce livre, d’identifier les tenants de cette approche.

Une conviction s’est progressivement imposée et généralisée à nos esprits : la théorie du choix rationnel. Chacun(e) d’entre nous envisagerait, avant de poser un acte, les différentes possibilités qui s’offrent à lui (elle) et optimiserait sa décision en fonction des conséquences escomptées à partir d’un calcul coût/bénéfice.

La confrontation de ce principe avec la réalité est loin d’être probante. Il suffit de constater chez soi et chez les autres le nombre de comportements, d’actions et de propos en porte à faux avec toute logique. Mais aussi avec l’intérêt de la personne qui les tient. Ce postulat présente donc quelques trous dans la raquette !

Plusieurs facteurs limitent la liberté de choix qu’il prétend nous attribuer. La complexité de l’environnement qui ne se donne pas à comprendre si facilement. L’incertitude qui est au cœur de toute action humaine. Les mécanismes psycho-sociologiques qui font intervenir les jeux de pouvoir, les hiérarchies, les émotions, etc…

La découverte de l’inconscient a permis de mettre en évidence le poids des pulsions et de forces psychiques à la source de réactions que la conscience ne contrôle pas.  « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison » affirmait Freud.

Les progrès des sciences cognitives ont encore élargi le champ de la réflexion sur les mécanismes de décisions. Ce sont les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky à qui l’on doit les premières recherches, au début des années 1970, à l’origine d’une théorie largement répandue aujourd’hui.

Ce sont ces opérations mentales routinières, raccourcis cognitifs qui biaisent les jugements. Trois biais appelés « heuristiques » sont d’abord identifiés. Celui de représentativité (généraliser à partir d’exemples isolés), de disponibilité (évaluer à partir de ce qui se présente) et d’ancrage (utiliser une référence arbitraire comme repère). Des dizaines d’autres seront identifiés par la suite.

Comment expliquer ce (dys)fonctionnement mental incontournable et universel ? Physiologiquement, notre cerveau est conçu pour réduire les contingences. Il ne laisse aucune place à l’aléatoire. Il refuse l’incertitude. Il lui faut donner du sens et rechercher une explication, pour chasser l’anxiété que fait naître l’incompréhension.

Dans son livre « Cerveau 1 et cerveau 2 » Daniel Kahneman a poursuivi sa réflexion en décrivant nos deux cerveaux. Le premier réagit spontanément, instinctivement, émotionnellement. Le second est le siège de la réflexion, de la prise de distance et de l’analyse. Or, c’est bien le cerveau 1 qui est en pilote automatique, réagissant instantanément, intuitivement à ce qui se présente.

C’est ainsi que nous entretenons toutes et tous, en permanence, des routines mentales. Avec pour illusion de réussir à résoudre simplement des problèmes complexes. Cette rationalité limitée nous pousse à entretenir des croyances erronées et à commettre des erreurs de jugement. Comment s’en prémunir ?

D’abord en acceptant leur réalité, ce qui permet de les identifier et de les combattre. En cherchant tout ce qui infirme nos convictions plutôt que de nous enfermer dans ce qui les confirme. En renonçant à trouver du sens à tout ce qui présente à nous et réhabilitant ainsi le hasard, l’improbable et l’imprédictible.

 Le livre de Vincent Berthet fourmille d’exemples illustrant ses démonstrations et permettant au lecteur de se faire sa propre opinion. D’un côté des jugements subjectifs et intuitifs qui font notre quotidien. De l’autre une analyse objective des données trop souvent évacuées.