Toujours moins. L’obsession du coût du travail ou l’impasse stratégique du capitalisme français

CARBONNIER Clément, Éd. La Découverte, 2025, 182 p.

La stratégie de baisse du coût du travail prétendument favorable à l’emploi s’avère une gigantesque duperie. Non seulement, il n’y a aucun effet identifiable sur le nombre d’emplois créés ou préservés, mais cette stratégie a largement entamé les finances publiques. Celles-là même dont le déficit actuel justifie plans d’économies sur plans d’économies, venant opposer non sur les moyens dispendieux distribués aux entreprises mais encore et toujours sur les dépenses sociales. Clément Carbonnier nous fait ici une démonstration limpide de ce véritable hold-up.

Il y a d’abord eu le transfert des cotisations sociales vers l’impôt. Ce fut en 1990 la création par un Michel Rocard de gauche de la CSG (contribution sociale généralisée) suivie en 1996 de la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale) créée par Alain Juppé de droite. C’est dorénavant le contribuable qui paie en lieu et place du salarié et de l’employeur les cotisations sociales dues.

Puis, est venue l’exonération des cotisations sociales pour les salaires allant d’abord jusqu’à 1,1 SMIC en 1993 et aujourd’hui jusqu’à 2,5 SMIC. Cette réduction, qui représente jusqu’à 40 % du salaire brut bénéficie à l’employeur est compensée par l’Etat. Coût de la mesure : 75 milliards ! En comparaison, le versement du RSA représente la somme de 15 milliards d’euros. Qui sont les vrais assistés ?

S’en est suivie la maîtrise des dépenses de protection sociale. Citons l’aggravation des conditions d’indemnisation du chômage ou d’accès à la retraite (passée de 60 à 62, puis 64 ans, avec 172 et non plus 150 trimestres). Soit respectivement de 4 et 8 (pour la première) et de 18 milliards d’économies (pour la seconde. Quant aux restrictions dans les remboursements de sécurité sociale, elles ont généré un milliard d’économies.

Une nouvelle arnaque s’est ensuite rajoutée : la prime dite « pour l’emploi », puis « RSA activité », aujourd’hui « prime d’activité » destinée à compenser les faibles revenus. Ce n’est plus l’employeur qui assume l’augmentation des salaires … c’est le contribuable ! Dès lors où il gagne jusqu’à 1,5 SMIC net, le salarié (seul sans enfant) perçoit 170 € de prime. Plus besoin pour l’employeur de débourser le premier centime pour revaloriser les rémunérations. Ce sont les finances publiques qui s’en chargent. Coût de l’opération : 13 milliards !

Depuis, les réductions fiscales se sont démultipliées. Ce fut d’abord le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), allègement créé en 2012 et pérennisé en 2019. C’est 20 milliards par an en moins pour le budget de l’Etat. Puis l’inénarrable Crédit d’impôt recherche (CIR) qui représente lui aussi de 7 milliards de manque à gagner pour l’Etat.

Le premier a quand même généré 200 000 emplois… Pour un rapport bénéfice/coût de 100 000 à 200 000 € pour chaque emploi créé ! Les 12 000 € d’une place du « territoire zéro chômeur » décriés comme trop dispendieux font faible figure, à côté. Le second a surtout généré des effets d’aubaine (l’entreprise aurait de toute façon développé son secteur de recherche et développement), profitant au passage de la manne qui leur était destinée, pour engranger des bénéfices supplémentaires.

Il est un autre argument venant légitimer cette générosité financière à l’égard des entreprises, c’est la défense de la compétitivité. Sauf que les secteurs où les salaires sont les plus bas (hébergement/restauration, soins à la personne, commerce ou transport…) sont peu confrontés à la concurrence internationale, là où celles qui exportent rémunèrent bien leurs salariés. Ce qui explique pourquoi la politique de baisse du coût du travail n’a quasiment aucun effet sur l’emploi.

L’effet principal de cette approche réside surtout dans la détérioration des conditions de vie. « L’accès à une main d’œuvre qualifiée, en bonne santé physique et mentale, ne découle pas d’incitations adressées au marché, mais de politiques publiques d’éducation, de formation et de santé » rappelle l’auteur » (p. 153). L’argent qui va aux entreprises manque aux services publics. Par contre, elle ne manque pas aux actionnaires, les dividendes du CAC40 ayant augmenté de 269 % entre 2000 et 2020 !

Pour ce qui est donc des plus aisés, tout va bien, merci pour eux. En 1996, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises représentait 6,4 % du PIB. En 2024, il représente 42 % du PIB. Mais, il ne faut pas y toucher, vous comprenez, cela nuirait à l’emploi !