Frapper les pauvres

DELAHAYE Jean-Paul, Éd. Librairie du labyrinthe, 2025, 224 p.

Plonger dans la vie des quartiers défavorisés était un premier défi. Retransmettre ce qui s’y passe avec justesse en était un second. Décrire le lien de ses enfants avec l’école en était un troisième. Jean-Paul Delahaye les a relevés tous les trois. Pari gagné!

Après avoir publié des livres de témoignages personnels et des essais pédagogiques, l’auteur se lance cette fois-ci dans la fiction. Le résultat est d’autant plus réussi qu’il articule d’une manière contre-intuitive un état des lieux bien pessimiste et une perspective des plus réjouissantes.

Tout part de la rencontre de Dylan et Brandon au cœur de l’un de ces internats d’excellence issus du Plan Espoir Banlieues (2008). Ce programme se donnait pour ambition de réduire les inégalités scolaires et sociales dans les quartiers prioritaires. Les deux adolescents faisant partie des élèves « méritants », ils avaient quitté leur 3ème de banlieue et évité le tout aussi stigmatisé lycée professionnel Croizat qui les attendait, pour une 1ère au sein d’un établissement huppé à l’intérieur de ce périph’ qu’ils avaient si rarement franchi : le lycée Clovis.

Le contraste fut rude. Les locaux où ils arrivèrent étaient spacieux et richement meublés. L’espace disponible dans leur chambre d’internat était aux antipodes de l’appartement humide et étriqué où vivait leur famille. L’accueil reçu fut certes râpeux de la part d’élèves de Clov’ regardant d’un sale œil, l’irruption dans leur cocon élitiste de ces jeunes issus de la diversité. Pourtant, des liens d’une amitié improbable se tisseront avec quelques gosses de riches.

Le choc auquel ils furent alors confrontés fut trop violent et révoltant pour ne pas en faire quelque chose. De retour chaque week-end dans leur banlieue d’origine, les deux compères se lancèrent dans une aventure peu commune. A l’image de ceux qui précédèrent la révolution de 1789 (et qui y menèrent), ils rédigèrent leurs propres cahiers de doléances. Sollicitant leurs proches, ils accumulèrent des dizaines de témoignages, les répertoriant dans ce qu’ils nommèrent « brèves d’en dessous ».

Tout y passa, résumant en une multitude de constats en une vie de galères. Le quotidien éprouvant des familles pour survivre, l’humiliation de ces sorties scolaires manquées par le manque de moyens pour les financer, la nourriture qui se raréfie à compter du 20 du mois, les vêtements achetés au rabais, la santé négligée, l’entre soi ghettoïsé bien loin de la mixité sociale prétendue, l’orientation scolaire biaisée … Et puis ces cours supprimés, ces professeurs contractuels en difficulté pour enseigner, ces enseignants non remplacés dans des établissements trop souvent relégués. Un inventaire qui, pour n’être pas de Prévert, trouve sa source dans la misère.

Loin de plonger dans le misérabilisme, ce récit renonce à tout immobilisme. L’auteur nous plonge dans une utopie réjouissante. Le choix de cette fiction ne privilégiant ni le conte de fées ni la solution magique, inutile d’attendre un miraculeux happy-end. Juste une mobilisation des consciences, des alliances inattendues et des actions citoyennes menées dans le dynamisme d’une jeunesse révoltée contre l’injustice. Je brûle de spoiler l’intrigue. Mais non, je laisse au lecteur le plaisir de la découvrir, comme je l’ai fait moi-même avec tant de plaisir.