Mes propositions contre le chômage

Michel Rocard, Seuil, 1996, 271p.

Que peut-on attendre d’un homme politique sinon qu’il nous tienne des propos dignes de sa corporation ? A savoir: « le gouvernement actuel nous envoie droit dans le mur, nous ferons mieux quand nous serons au pouvoir » s’il est dans l’opposition. Ou « les critiques à notre encontre sont irresponsables et démagogiques » s’il est dans la majorité.

Aussi, en ouvrant le dernier essai de Michel Rocard, j’ai été pris d’une saine méfiance. Et effectivement, ici, pas de miracle. Certes, l’homme ayant été ministre et même premier ministre pendant des années, il n’a pas de quoi donner des leçons. Il ne parle d’ailleurs guère de son action passée, préférant parler d’aveuglement collectif et d’échec global des gouvernements successifs pour tenter de réduire le chômage. Le constat n’est guère révolutionnaire: il suffit de regarder la réalité !

Pour autant, plusieurs de ses réflexions méritent l’attention.

Il y a ainsi cette notion de précarisation de l’emploi qu’il reprend pour rappeler qu’il ne faut pas s’arrêter aux 3.300.000 chômeurs. Il faut aussi inclure dans le débat les 5 millions de personnes en situation de travail atypique: CES, stagiaires de tout ordre, intérimaires, salariés en contrat à durée déterminée... situations d’exclusion potentielle synonyme d’insécurité.

Face à cet état des choses, deux options  se présentent.

Soit une dérégulation générale qui permet certes de mettre un terme aux rigidités du marché du travail et ainsi de faciliter les embauches, mais aussi qui rend les licenciements applicables à tout moment. C’est la solution préconisée par les libéraux.

Soit, le partage du travail. Mais cette solution fait peur à un peu tout le monde: les patrons ne veulent pas d’un accroissement de leurs charges, les salariés refusent unr diminution de leurs revenus et l’Etat ne souhaite pas augmenter ses dépenses qui ne pourraient être financées que par de nouveaux impôts.

Michel Rocard propose une solution qui permettrait de contenter les uns et les autres. Actuellement, pour un horaire de 39 heures, les cotisations sociales s’élèvent à 26 Fde l’heure.  Si, explique-t-il, la loi fixait à 19F les charges jusqu’aux 32 premières heures et à 58F au-delà, cela pourrait inciter les entreprises à diminuer le temps de travail de ses salariés et à embaucher. En effet, l’économie de charges réalisée sur le travail en cas de réduction de son horaire permettrait alors de financer l’emploi de personnel supplémentaire. Quant au manque à gagner pour les organismes sociaux, il pourrait être compensé par une partie des 400 milliards qui sont dépensés chaque année pour les aides à l’emploi (sans grande efficacité pour beaucoup d’entre elles) et pour les indemnités de chômage (qui seraient moins importantes en cas de diminution du nombre de demandeurs d’emploi). Une telle proposition évite toute contrainte réglementaire mais au contraire nécessite une négociation entre partenaires sociaux.

L’auteur argumente longuement sa démonstration faisant appel à des conceptions visant au dépassement de l’étroite logique du travail salarié comme seul facteur d’intégration sociale.

Toutes ces réflexions semblent fort intéressantes. Mais le « réalisme économique » qui a eu raison de bien des engagements de 1981 va-t-il ici aussi faire passer ces belles idées au rayon des promesses électorales non-tenues quand ses promoteurs seront au pouvoir ? C’est, semble-t-il, une question non seulement légitime mais aussi réaliste.

 

Jacques Trémintin -  Décembre 1996 – non paru