L’espace du racisme

Michel WIEVIORKA, Seuil, 1991, 251 p.

Le concept de racisme est communément utilisé face à des comportements basés sur la haine, le mépris, le rejet et la discrimination à l’égard de l’autre. Il entre  dans le vocabulaire à la fin du XVème siècle. Au XIXème, l’urbanisation et l’individualisation grandissantes favorisent le brassage des populations. Emergent alors des questionnements sur l’existence de « races » supérieures et inférieures et sur la dégénérescence qu’entraînerait leur mélange. Au XXème siècle, alors-même, qu’on avait cru que le progrès et la science imposeraient définitivement les valeurs universelles, voilà que les idéologies populistes, xénophobes et nationalistes s’appuient sur les identités communautaires pour distiller le poison du racisme. Celui-ci se manifeste sous la forme de deux logiques. Il y a tout d’abord la conviction d’une hiérarchie entre les êtres humains en fonction de telle ou telle caractéristique. Ensuite, il y a la préconisation d’un développement séparé (chacun devant rester chez soi). L’une et l’autre peuvent se combiner et se compléter. La première a été illustrée tragiquement par le nazisme, la seconde par les rencontres aux USA entre le Ku Klux Klan (blancs) et les Black Muslims (mouvement musulman noir) autour d’un projet politique commun de société raciale pure.

La sociologie témoin, de son époque,  est passée par différentes étapes dans l’étude de cette question. On lui doit l’analyse d’un comportement perçu comme la frustration d’un individu qui, ne pouvant s’exprimer contre sa communauté, focalise la résolution des problèmes et tensions qu’il subit en se retournant contre l’étranger. Puis, il apparaît que pour penser le racisme, il faut abandonner toute notion de race, puisque les généticiens ont pu démontrer l’inanité scientifique de cette idée. Le racisme s’impose comme un anti-mouvement social : l’identité sociale est en effet remplacée par la référence à une essence, une nature ou encore une catégorie culturelle morale ou religieuse. L’adversaire social est remplacé par un ennemi ou un système abstrait contre qui il faut mener une guerre implacable. L’acteur s’enferme sur lui-même en attribuant une construction imaginaire au système d’action attribué à l’autre. Michel Wieviorka distingue quatre niveaux dans l’expression de cette idéologie. Il y a tout d’abord le stade de l’infraracisme qui s'extériorise sous forme de préjugés et d’opinions diffuses. L’étape suivante est celle d’une manifestation plus cohérente et systématique mais qui reste encore pour l’essentiel éclatée. Jusque là, cela est insupportable mais pas encore trop inquiétant. Cela devient grave lorsque le racisme se concrétise sous la forme d’un mouvement politique structuré. Enfin, ultime forme, celle d’un Etat qui fonde son orientation sur des conceptions ouvertement racistes (tel encore récemment l’apartheid en Afrique du Sud).

 

Jacques Trémintin – Avril 2002 – non paru