80% du bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire

Stéphane BEAUD, La Découverte, 2002, 303 p.

Stéphane Beaud met en vie des personnages à la fois passionnants et attachants qui seraient dignes d’un roman, s’il ne s’agissait d’une étude sociologique des plus méthodique.

L’auteur nous livre  le résultat de dix années d’étude sur le terrain qu’on aura du mal à lâcher, la dernière page tournée. Cela commence au début de la décennie 90, alors que se joue à plein le compromis historique entre un pouvoir politique désireux de lutter à court terme contre le chômage et d’élever à moyen terme le niveau de qualification de la main d’œuvre et de nombreuses familles populaires soucieuses d’arracher leurs enfants à l’usine. Des jeunes qui auraient été destinés au cycle professionnel court passent massivement en seconde. Les lycées d’enseignement professionnels étant alors vécus comme l’antichambre du chômage, le lycée général procure l’assurance provisoire d’échapper à la relégation scolaire. L’âge médian de fin d’étude passe de 19 ans, en 1987 à 22 ans, en 1995. Le nombre de bacheliers, quant à lui bondit de 30 à 63% d’une classe d’âge. Cette situation s’est accompagnée d’un certain coût social pour la population des nouveaux lycéens : « concilier un passé qui meurt et un avenir qui leur tourne le dos, rester fidèle au père affectif tout en étant fortement tenté de renier le père social, respecter l’autorité du père de famille et ’’contester’’ la soumission du père à l’usine » (p.41)  L’engagement dans les études longues représente le défi de porter la promesse de réussite sociale (avec ce que représente la hantise de trahir les espoirs de promotion), mais aussi un début de désaffiliation partiel avec le groupe d’origine (l’intégration à la culture scolaire se soldant par une prise de distance d’un quartier perçu comme lieu de relégation sociale et partiale). Mais, en même temps qu’ils aspirent à échapper à la condition ouvrière, ces jeunes ont le sentiment d’une certaine illégitimité, n’étant pas prêt à sacrifier leur jeunesse à des études longues et à un ascétisme pourtant nécessaires à la voie dans laquelle ils se sont engagés. Leur distance à la culture scolaire, leur désarroi face à un savoir par trop abstrait, la tentation toujours présente des attraits du quartier (bruits extérieurs qui ne cessent de les solliciter, copains qui passent) et la nécessaire mise au travail ont constitué pour beaucoup d’entre eux des épreuves d’un monde universitaire qu’ils ont rejeté et qui les a rejetés. L’école n’a finalement pas tenu ses promesses et fabriqué des illusions. La sélection n’a fait que se déplacer : l’excellence scolaire s’est centrée sur les classes scientifiques du lycée, les classes préparatoires, IUT et BTS, majoritairement fréquentés par les enfants de cadres supérieurs, les enfants des milieux populaires se contentant des sections technologiques et des DEUG (où ils échouent massivement). Rien n’a vraiment changé dans l’inégalité des chances d’accès au savoir, à l’emploi et aux positions sociales.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°642 ■ 14/11/2002