Quand l’école se mobilise

Agnès VAN ZANTEN, Marie-France GROSPIRON, Martine KHERROUBI, André D. ROBERT, édition La Dispute, 2002, 270 p.

Longtemps, l’école primaire a été tournée vers l’enseignement du peuple (apprentissage des savoirs de base et intégration à la République) et le secondaire vers l’intellectualisme de l’élite. Parmi les profondes mutations qui ont marqué l’Education nationale au cours des trente dernières années, la massification de la fréquentation, qui se voulait porteuse de démocratisation, a eu comme effets pervers de mettre en évidence l’échec scolaire. En primaire, les enfants adhèrent fortement au savoir et aux finalités scolaires, le travail et le maître étant encore légitimés. Au lycée, la relation instrumentale aux notes et aux examens conditionne grandement le rapport à l’apprentissage. Mais, au collège, le processus d’autonomisation dans lequel sont engagés les élèves, introduit une distanciation vis à vis de l’enseignement. La mobilisation face au savoir y reste fragile et dépendante de la relation affective à l’enseignant. De plus, le groupe de pairs se constitue en général contre les adultes, l’adhésion aux valeurs scolaires étant souvent perçues comme une trahison. L’entrée dans le métier d’enseignant passe donc par la prise de conscience d’autant plus abrupte, qu’elle n’est pas préparée, de cette réalité : l’écoute et la participation des élèves ne vont pas de soi. Cela occasionne une souffrance et une tension qui contraignent à des adaptations nécessaires à la survie. Bien sûr, il peut il y avoir maintien de l’ordre par les sanctions. Mais de telles méthodes ne peuvent pas toujours venir à bout d’une confrontation qui peut se faire intense. Les enseignants ont pris l’habitude de réduire leurs attentes (même si le renoncement à un niveau qu’ils  considèrent comme « juste », peut s’avérer psychologiquement coûteux) ou les déplacer (le plaisir pris comptant alors plus que les résultats tangibles en terme d’apprentissage), de moduler l’évaluation (surnoter les élèves ou abaisser le niveau des difficultés, chercher plus à encourager qu’à noter les résultats obtenus), de ne pas remplir toutes les exigences des programmes nationaux (chercher à faire acquérir une démarche autonome plus que de simples connaissances). Dès lors, les qualités requises relèvent plus des capacités à savoir réagir en situation, à s’adapter aux dispositions générales de la classe, à imposer le respect et à maintenir le calme en jouant sur l’assurance, le calme, l’humour, la répartie ou le rapprochement affectif. On assiste là à une transformation progressive de l’ethos professionnel qui débouche y compris sur une coopération tournée encore pour l’essentiel vers la recherche du soutien moral des collègues. Bien sûr, ce savoir faire n’est encore ni validé, ni reconnu, car trop centré sur le maintien de l’ordre et pas assez vers la transmission des connaissances.  Mais l’éthique professionnelle est en train, insensiblement, de changer.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°632 ■ 05/09/2002