Itinéraire découverte 1 - Espagne

Découvrir le monde pour mieux se connaître

« Amis des projets déjantés, bonjour ! Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à la traversée à pied de l’Espagne sur 1800 kilomètres par un groupe de jeunes en difficulté. » C’est vrai, qu’à première vue, le séjour proposé par « Itinéraire Découverte » est pour le moins assez fou. C’est peut-être pour cela qu’il peut permettre à des adolescents un peu perdus de s’y retrouver et surtout de se retrouver  eux-mêmes.

Le départ de l’aventure

Au départ, comme dans beaucoup d’entreprises de cette sorte, il y a une forte personnalité : Anabelle Delfosse, guide de tourisme équestre qui a mis deux ans à traverser à pied l’Espagne et le Portugal avec mari, enfants, chevaux et ses deux chiens. Les rencontres effectuées tout au long de ce cheminement itinérant, l’extraordinaire aventure humaine d’une entreprise défiant le temps et l’espace, lui ont donné envie de recommencer, en entraînant avec elle des adolescents. Son choix s’est arrêté sur ces jeunes qu’elle a eu l’occasion de côtoyer dans la ferme équestre qu’elle a dirigée cinq années durant. Elle proposait alors des transferts sur deux, trois semaines, voire une fois sur un mois et demi à des groupes de jeunes en difficultés sociale, familiale, scolaire ou personnelle. C’est dans ces occasions qu’elle a appris à les connaître. Elle comprend bien leurs problèmes. Mais, elle sait aussi la profonde détresse qu’ils cachent. Et là, elle est sûre qu’un périple, comme elle l’a projetée peut apporter un nouveau départ, permettre de faire le point pour changer le cours d’une vie mal engagée, prendre une autre orientation que celle adoptée jusque là. Alors, elle dépose son projet auprès du Conseil général de l’Ariège : proposer à 10 jeunes de 13 à 17 ans la traversée de l’Espagne du Sud au Nord, à pied, en 9 mois. Elle se heurte à un refus. Ne se démontant pas, Anabelle Delfosse déménage dans le département d’à côté et présente à nouveau son projet. L’Aide Sociale à l’Enfance de Haute Garonne commence par être séduite par un projet en tous points assez fabuleux. Il faut néanmoins du temps pour aboutir à une décision qui, finalement sera désastreuse. Le Département donne un accord mais seulement, pour un financement à hauteur de 77F par jour, correspondant  à l’attribution versée traditionnellement à un tiers digne de confiance. On est loin du prix de journée évalué à 851 F. Cela peut sembler exorbitant. Il faut savoir que la plupart des établissements rééducatifs fonctionnent sur un prix de journée qui évolue entre 700 et plus de 1000 F par jour.
Si le projet d’Itinéraire Découverte a pu finalement se concrétiser, c’est en premier grâce à l’opiniâtreté de son initiatrice. Mais, c’est aussi grâce au soutien d’un certain nombre d’acteurs du milieu socio-éducatif, au premier rang desquels on trouve les Direction régionale et Direction départementale de la Protection judiciaire de la jeunesse qui, convaincues de la pertinence de l’entreprise l’ont appuyée très tôt, lui permettant de cheminer et de trouver un aboutissement heureux. De fait, seul le ministère de la justice a accepté de financer la prise en charge de jeunes placés au titre de l‘ordonnance du 2 février 1945, à hauteur de ce qui permet réellement sa viabilité.
 

Les conditions du voyage

La perspective de laisser dix jeunes marcher tout au long de l’année sur les routes d’Espagne est-elle si risquée que cela ? Si risque il y a, il a été bien calculé. Le matériel proposé est à la fois pratique, ingénieux et top niveau. Des tentes dômes tout d’abord pour l’hébergement (deux personnes dans chacune d’entre elles), des matelas pneumatiques auto gonflant, des duvets de haute montagne. Deux chariots tirés par des mules : l’un emporte le matériel, l’autre est un « shook-wagon » ressemblant à ces carrioles de la conquête de l’ouest américain qui non seulement emporte tout le matériel de cuisine et les provisions, mais peut aussi se déployer et ainsi constituer un lieu de vie collectif. Le confort est poussé jusqu’à prévoir trois grosses lampes allumées toute le nuit au milieu du camp, pour sécuriser les jeunes. Chaque participant au séjour a en charge un cheval. Il doit le soigner, le nourrir, le brosser. Ce n’est pas pour le monter (sauf au moment des camps de base). Il est harnaché en animal de bât. La charge est partagée entre le maître et sa bête. Chaque jeune porte un sac à dos, mais avec une limite de sept kilos maximum.
Du côté du public accueilli, les adolescents du groupe doivent être suffisamment motivés pour accepter les contraintes de cette aventure. Ce qui écarte d’emblée, celles et ceux qui sont trop abîmés (maladie mentale, toxicomanie, placement comme alternative à l’incarcération). Et si un(e) jeune n’arrive pas à s’adapter ? Il (elle) aura la possibilité de mettre un terme à sa participation. Et si un(e) jeune tombe malade ? Il (elle) pourra être rapatriée, quitte à réintégrer le groupe, ultérieurement, s’il (elle) le souhaite.
Du côté des adultes, l’équipe d’encadrement se compose de sept personnes dont trois éducateurs spécialisés et quatre techniciens du cheval spécialistes de la randonnée équestre (mais aussi ayant une connaissance des publics en difficulté). N’oublions pas les deux gros chiens de la famille, Urga et Argos, des bergers yougoslaves, affectueux et eux aussi sécurisants. Anabelle Delfosse entraîne dans cette aventure non seulement son mari, mais aussi ses deux enfants de 4 et 7 ans, preuve s’il en est de sa confiance dans le déroulement du séjour.
Sept camps de base ont été programmés. Il est prévu que le groupe s’arrête dans chacun d’entre eux une semaine. Ce sera l’occasion de découvrir une région, d’avoir des contact avec ses habitants, de rencontrer certains métiers ( tailleurs de pierre, viticulteurs, industrie céramique, sculpteurs sur bois, extraction et travail du marbre, métiers de la pêche …) et de pratiquer des activités sportives ou culturelles (haute montagne, spéléologie, canoë-kayak, activités de fermes pédagogiques, réserves d’oiseaux, fête des vendanges …).
Entre chacune de ces étapes, il y a les périodes de randonnées proprement dites sur vingt jours au rythme de trois jours de marche pour un jour de repos. En hiver, il est prévu une douzaine de kilomètres par jour. Aux beaux jours entre dix huit et vingt. Tout au long du séjour, la scolarité classique n’a pas cours. Pour autant , ce sont les événements mêmes du voyage qui vont devenir une fantastique école de la vie : langues étrangères, botanique, mathématiques, écologie, orientation … deviendront les matières d’apprentissage incontournables et seront servies par des personnalités spécialisées  dans de multiples domaines qui, tout au long du périple, seront amenées à intervenir et à éveiller et nourrir les curiosité de chacun, gage de motivation et d’envie d’apprentissage : botanistes, géologues, journalistes, artisans, artistes …
Mais, toute l’action de l’association Itinéraire découverte  serait bancale si elle se limitait uniquement à l’organisation d’un séjour de 9 mois sans se préoccuper de l’après. Cette période exceptionnelle aménagée dans la vie des jeunes pris en charge doit permettre de déboucher sur un projet d’insertion. Un contact avec les services placeurs sera donc maintenu tout au long de l’année afin de préparer la sortie du séjour. Ce dont il s’agit, c’est de faire en sorte que l’évolution positive pressentie et espérée puisse se concrétiser par une formation professionnelle et un engagement intégré à la société. Il faut en effet éviter que les progrès obtenus ne débouchent sur aucun projet concret pour chaque jeune, ce qui présenterait le risque de ruiner une partie des bénéfices acquis. On ne peut éviter de penser à la décompensation que représentera pour ces jeunes le passage du vécu riche et épanouissant de leur aventure au retour dans un milieu et un cadre parfois bien peu stimulants qui ont pu contribuer largement à leurs difficultés. Peut-être auront-ils pu trouver les ressources nécessaires pour y faire face ? Cette phase mérite néanmoins d’être prise en compte à part entière. Itinéraire Découverte souhaite en outre, garder contact avec les participants dans les mois qui suivront le retour.
 
 

Le projet pédagogique

Quelles sont les justifications pédagogiques d’une telle expédition ? Le simple descriptif  auquel nous venons de procéder nous permet d’imaginer les implications éducatives d’une participation à ce type de séjour. Il n’est guère difficile d’en comprendre la pertinence.
L’esprit du séjour ne réside pas dans l’obtention de records ou l’accomplissement de performances, mais de vivre au pas des chevaux, une aventure qui se déroulera dans le respect de la nature, des participants les uns par rapport aux autres, des lieux et de la population rencontrés. S’éloigner de ses habitudes quotidiennes, rompre avec le superflu et les besoins trop souvent créés artificiellement ont pour objectif une recherche de ses racines intérieures. La confrontation aux contraintes de la nature ne permet pas de tricher très longtemps : le rythme de l’humain se doit alors de se placer en osmose avec les saisons, avec le temps, avec le relief. Autant de repères et de limites qui ne peuvent se discuter, face auxquels non seulement la toute-puissance n’a pas de prise mais aussi tout un chacun est soumis. La leçon de vie qui en émerge vaut tous les discours moralisateurs et sentencieux : il faut apprendre à faire face tant physiquement que psychologiquement à la vie en pleine nature. Le contact permanent avec le cheval rend nécessaire là aussi d’en revenir avec une forme d’authenticité : collaboration et complicité sont les conditions d’une bonne entente avec l’animal, lui faisant prendre dès lors une dimension thérapeutique. Et puis, il y a les rencontres au quotidien avec les populations des régions traversées. Personnalités déjà contactées et qui sont prêtes à venir partager leur passion, leur métier, leur expérience de vie. Mais aussi, les habitants croisés au quotidien avec qui il faudra échanger, discuter, auprès de qui on se présentera ou on prendra des renseignements. Démarche de base d’une socialisation élémentaire, mais combien utile pour des jeunes carencés ou imprégnés d’une mésestime de soi invalidante.

 

Reliés au monde

S’il s’agit bien là d’une forme d’année sabbatique, d’une sorte de séjour de rupture, ce n’est pas pour autant une cassure avec la vie antérieure. Un contact permanent pourra être établi à tout moment, tant par fax que par téléphone mobile permettant une relation avec un secrétariat resté en France qui servira de pivot. Régulièrement,  les jeunes pourront téléphoner ou écrire à leur famille, un système de poste restante leur permettant de recevoir du courrier. En outre, un travail d’écriture leur sera demandé sous forme de carnet de voyage. Du matériel vidéo leur sera confié par des équipes respectivement la 5 et de FR3, Tous les deux mois une équipe de professionnels viendra filmer sur place, l’objectif étant de monter ensuite un film de 26 minutes qui est dors et déjà programmé sur ces différentes chaînes pour le mois de mai 2000.
Lien Social a décidé de s’associer à cette aventure, en rendant compte régulièrement du cheminement de cette véritable caravane de l’espoir. A échéance régulière, nous informerons nos lecteurs des bonheurs, heurts et malheurs de cette expérience. D’abord, parce que nous avons envie de cheminer avec elle. Et ensuite, parce qu’il est important de porter à la connaissance des professionnels du secteur de l’enfance en danger, les initiatives qui sont prises et qui permettent de sortir de routines qui ont fait leur preuve malgré tout pour nombre de situations, mais qui s’avèrent bien inefficaces face aux problématiques les plus complexes. Cette médiatisation peut et doit faire inspirer et aider à faire naître d’autres initiatives. Une fois de plus, la preuve est faite que de la créativité et de l'inspiration de professionnels engagés et enthousiastes, peuvent émerger des projets vraiment fantastiques.
Jacques Trémintin – Octobre 1999
 
Contacts : Itinéraire Découverte 4 chemin du chêne « crabille » 31470 SAINT LYS - Tél. : 05 61 68 91 03
 

Le voyage commence lorsque l’on accepte le risque de s‘ouvrir au monde …

« Le voyage est un concentré d’émotions nourri par des rencontres, des paysages et des évènements qui nous font grandir. La découverte, l’effort, le plaisir, la solidarité, la peur, le blues, ne sont plus des mots « cartes postales », mais un vécu qui nous apprend à devenir autonomes, entreprenants, curieux. Nous proposons un itinéraire riche en opportunités, qui permet à chacun dé découvrir un autre monde, d’autres gens, d’autres vies, avec un autre œil. »
Itinéraire Découverte
 
 
Premier bulletin d’information de la croisière trans-ibérienne (13 octobre 1999)
Cinq jeunes ont été accueillis début septembre. Une première période de préparation a été menée afin tester le groupe, sa résistance à la randonnée et sa capacité à mener ensemble le voyage projeté. Petit à petit, d’autres adolescents devaient venir compléter le séjour jusqu’à atteindre le nombre limite fixé à dix participants et ce jusqu’au départ prévu au 1er octobre. Et puis, à la mi-septembre, l’ASE a fait connaître sa décision de ne financer le prix de journée qu’à hauteur de 77 francs. Trois jeunes ont du quitter le camp très déçus et très regrettés. Quatre mineurs placés par des juges des enfants sont alors attendus. Ce qui porte les effectifs actuellement à six garçons âgés de 15 à 17 ans. Il reste donc encore de la place pour des amateurs en provenance d’autres départements. Ils pourront être intégrés au fur et à mesure. Une jeune-fille est sur liste d’attente et ne pourra se joindre au groupe qu’à condition qu’elle puisse se retrouver avec au moins une autre adolescente : avis aux amateurs. Nouveau coup de malchance : une grève des transporteurs en Espagne empêche de gagner le point de départ situé au sud du pays. Qu’à cela ne tienne, la première étape se fera en France. Départ prévu le 19 octobre. Trois semaines de randonnées pour gagner Limoux. Là, un transport assurera le trajet jusqu’à Riba Roja au sud de la presqu’île ibérique. Puis commencera la lente remontée qui prendra près de 9 mois. Bonne route et à bientôt !
 
 
Jacques Trémintin –LIEN SOCIAL ■ n°504  ■ 21/10/1999