Voyage à Amizmiz - ITEP

Ils se font plus souvent remarquer par leur turbulence. Les jeunes de l’ITEP Jeunesse et Avenir ont montré qu’ils pouvaient aussi mener une action de solidarité exemplaire.
L’un arrive dans la salle avec un petit bout de bois qu’il a porté à incandescence, fasciné par l’extrémité rouge et fumante. L’autre s’empare très vite d’une pointe de compas pour graver la couverture de son classeur. Bientôt, ils se passeront un tube de « blanco » pour dessiner sur leur trousse, leur main, bientôt sur la chaise ou la table. L’un sort une poignée de sucres de sa poche qu’il distribue généreusement, autour de lui. L’occasion pour un autre de fabriquer du caramel, avec son briquet. Ils éclatent de rire, s’interpellent, s’insultent. Ils n’arrivent pas à se concentrer, s’invectivant ou se lançant dans un chahut bon enfant, mais usant. Ils sortent et rentrent dans la pièce. L’agitation semble irrépressible et permanente. Anxiété intérieure, contagion face au groupe, inquiétude liée à un évènement plus difficile à assimiler qu’un autre, frustration difficilement supportée … les raisons sont multiples qui peuvent expliquer ce désarroi et cette excitabilité. Bienvenue à l’Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique « Jeunesse et avenir » situé à La Baule où, ce matin, les jeunes pensionnaires ne sont pas très en forme. Sophie Manneau, institutrice spécialisée qui accueille Lien Social, a prévenu que l’ambiance serait tendue. Elle essaie de gérer son groupe au mieux, mais le trouble de ces jeunes l’emporte sur ses efforts pour le canaliser. Elle en est gênée et le dit. Mais, après tout, reproche-t-on à des asthmatiques de manquer d’oxygène ou à des diabétiques de faire une hypo glycémie ? Si ces jeunes sont là, c’est parce que des troubles du comportement les traversent et qu’ils ont besoin de toute la bienveillance des adultes les entourant, pour les aider à cheminer et à s’apaiser. Tâche délicate et ambitieuse, mais loin d’être impossible, comme le montre le récit qu’ils vont faire de leur expérience de voyage au Maroc.

Concevoir le voyage

L’idée initiale est venue de Jacky et de Romain. Leurs copains rentraient souvent « au pays », l’été. A la rentrée 2009, ils leur ont raconté ces moments de fête qu’ils ont vécus, alors que le Ramadan avait commencé le 21 août. Toute une population dans l’abstinence, la réserve et le recueillement, dans la journée et qui vit de spectaculaires réjouissances, une fois le soleil couché. Ça leur a donné envie d’aller y voir de plus près. Ils en parlent à leurs éducateurs qui sont, eux aussi, séduits par cette idée. Ils vont être huit ados de 14 à 18 ans à se lancer dans ce projet : sept garçons et une fille. Très vite, ils se mettent d’accord : il ne s’agit pas de se rendre au Maghreb, uniquement pour faire du tourisme. Les enfants et les jeunes qui vivent là-bas, connaissent de multiples problèmes liés à la pauvreté. On ne peut aller leur rendre visite, les mains vides. Ils emmèneront avec eux du matériel scolaire. Mais, cela n’est pas suffisant. Il faudrait un cadeau personnalisé. L’ITEP possède un atelier d’imprimerie. Et si on produisait un petit livre de jeux, d’histoires et de recettes ? L’idée plaît à tout le monde. Chacun va se consacrer, qui a écrire un conte, qui à dessiner un labyrinthe, qui à imaginer une page de coloriage, qui à construire une grille de mots mêlés, qui à rédiger un texte de présentation de sa ville, de sa région, de son pays, qui a reproduire la recette du far breton... Le petit cahier de 13 pages, une fois imprimé à 150 exemplaires, en jette : plein de couleur, plein de photos et même une page bilingue, français/arabe. Restait à trouver les financements pour réaliser ce projet humanitaire.

Trouver de l’argent

La direction de l’ITEP, soutenue par la Direction générale, avait, dès le début, marqué son intérêt pour l’action engagée. Mais, si elle s’était engagée à avancer au moins la somme des billets d’avion, il fallait trouver d’autres sources de financement, pour boucler le budget. Aidé par leurs éducateurs, le groupe d’adolescents imagine d’abord une grande Tombola. Les voilà sillonnant la ville de La Baule, rendant visite à ses commerçants, pour expliquer leur projet et obtenir des lots. La moisson va s’avérer généreuse : de la paire de chaussette, jusqu’à un appareil de photo numérique, des porte-clefs jusqu’à une mallette de poker, en passant par des tee-shirts de football, des lunettes de soleil, des clubs de plage, des bons pour une gaufre, un repas au restaurant ou des entrées à la Thalassothérapie. A 1 € le billet, ils réussiront à en vendre 450, organisant le tirage au sort à l’occasion d’un repas … marocain, comme il se doit. Mais, le groupe décide de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Chaque année, la Fondation de France et Ouest France s’associent pour remettre des prix « Initiatives solidaires » qui récompensent des actions de solidarité initiés par des jeunes de 13 à 25 ans. Le groupe d’adolescents de l’Itep Jeunesse et Avenir n’a pas hésité à poser sa candidature. Ce 27 mai 2010, une soixantaine de jeunes compétiteurs se retrouvent dans les locaux rennais de Ouest France, pour la remise de prix aux seize projets qui ont été sélectionnés sur une centaine présentée, cette année-là. Émotion et un brin de tension dans l’assistance qui attend, fébrile, les résultats. Le président du jury commence, comme il se doit, par les attributions les moins dotées. Les lauréats se succèdent et toujours rien pour l’ITEP. Aurait-il été oublié ? Montée d’angoisse. Et puis … le projet Maroc finit par emporter le grand prix, avec 1.000€ à la clef.


Le séjour

Le parcours du groupe se trouve ainsi couronné, à quelques jours du départ. Au-delà de l’apport financier, il y a là une formidable reconnaissance pour des jeunes plus souvent stigmatisés pour leurs passages à l’acte, que pour leurs actions positives. Ainsi, eux que l’on exclut et que l’on rejette pour leur excès comportementaux, sont montrés en exemple et valorisés par un premier prix ! C’est le cœur plein d’une légitime fierté, qu’ils entrent dans l’aéroport de Nantes, le 13 juin suivant. A l’arrivée au Maroc, c’est le choc : la chaleur, de superbes paysages, l’hospitalité du peuple berbère… le dépaysement est assuré. L’internat du lycée qui devait les accueillir ayant déclaré forfait, c’est l’Auberge Tafoukte d’Atlas qui les reçoit, dans le village d’Amghrass non loin d’Amizmiz, située à 54 kilomètres au sud de Marrakech. Pendant douze jours, le groupe va vivre au rythme des visites et des rencontres. Les 50 kilos de classeurs, de cahiers, de crayons, stylos, règles, papiers qu’ils ont emportés dans leurs bagages, ils vont aller les donner à des écoliers. Mais c’est la distribution de leur petit livret qui leur tient le plus à cœur, celui qu’ils ont conçu et réalisé. Le plaisir manifesté par les enfants est là pour les récompenser de tous leurs efforts. Certains ados ont même du mal, à retenir leur émotion. Et puis, il y a ces rencontres avec un groupe de lycéens marocains de leur âge. Ils enregistreront avec eux la chanson de rap écrite en commun sur place. Un texte qui parle de la différence et de la solidarité, chanté à la fois en arabe et en français.

Le retour

Un tel séjour ne pouvait que marquer les esprits de nos jeunes français. « Les gens, ils te sourient et te disent bonjour, même s’ils ne te connaissent pas. En France on le prendrait mal » commente Jacky. « Là-bas, ils ne gaspillent pas l’eau ou l’argent comme ici. A la fin du voyage, j’avais envie de rester avec eux » rajoute Jérôme. Et puis, il y a ces gamins de 8 ou 9 ans qui sont déjà au travail ou pire qui vivent dans la rue : « on en a vu qui sniffait de la colle. Je suis sûr que c’était pour se donner du courage, avant d’aller mendier » affirme Romain, marqué par le terrible spectacle de la pauvreté. De retour, le 24 juin, l’action n’était pas pour autant terminée. Stéphane Chemin, professionnel du cinéma et partenaire de l’ITEP depuis quelques années, a monté avec les jeunes un petit film à partir de tout ce qu’ils avaient tourné sur place. « Pas de place pour l’esthétique, juste la recherche de l’authenticité de ce qui a été vécu », explique-t-il. Le groupe a déjà présenté son voyage le 16 décembre 2010 devant les familles, les personnels et les membres de l’association gestionnaire. Il leur a fallu continuer à le faire devant la fondation de France et les représentants du Conseil général de Loire Atlantique, du Conseil régional des pays de Loire et de la Direction de jeunesse et sport qui avaient contribué financièrement à leur séjour. Exercice pas toujours facile, que d’avoir à s’exprimer devant des instances qui ont cru à leur projet. Mais, chacun s’est senti comptable de la confiance qui leur avait été faite.


Pour quels bénéfices ?

Le groupe de huit jeunes n’est plus au complet. Certains ont quitté l’établissement, en fin d’année scolaire, les 18 ans atteints. Des nouveaux sont arrivés qui écoutent ce qu’ont accompli leurs aînés. Le temps passe et la vie continue. Des contacts ont été maintenus entre jeunes français et jeunes marocains, via internet. Gageons qu’Émilie, Evan, Jérôme, Romain, Alain, Jacky, Valentin et Jimmy garderont longtemps dans leur mémoire le souvenir du pays berbère et de l’accueil si chaleureux de ses habitants. Bien sûr, leurs difficultés n’ont pas disparu et le travail éducatif auprès d’eux continue. Mais, ils se seront au moins prouvés à eux-mêmes et auront démontré aux autres ce dont ils étaient capables. Revenir à l’ITEP n’a pas été forcément facile. Là-bas, ils ne se sont pas sentis montrés du doigt. On parlait d’eux seulement comme des petits jeunes « dynamiques ». Ils s’étaient liés à une population qui n’hésitait pas à les inviter à leur domicile. Certains ont même été conviés à un mariage. Le mode de vie communautaire a joué un rôle contenant particulièrement rassurant. Et puis, la fin du séjour a signé le retour brutal à la réalité. Un peu comme si la parenthèse une fois refermée, ils retrouvaient les troubles qu’ils avaient laissés, replongeant dans des difficultés un moment suspendues, le temps de ces onze jours un peu féeriques où rien n’avait été comme avant et dont la magie ne se reproduirait jamais plus. Passage à vide que n’avait pas prévu l’équipe qui a rendu cette expédition possible. Deux hommes et deux femmes, trois éducateurs spécialisés et une institutrice soudés et complices dont émane une sérénité, précieux outil au service d’une fonction pas toujours facile à tenir.

Pourquoi ça a marché ?

Quels ont été, pour eux, les facteurs de la réussite d’un tel projet ? Mathieu Mousset retient une dominante de leur pratique professionnelle tant dans le quotidien de l’ITEP que lors de ce « transfert » bien peu ordinaire : « c’est la permanence et la continuité de notre présence. Les jeunes peuvent s’éloigner de nous quand ils vont mal. Mais, ils reviennent très vite, car ils savent que nous restons là. Cela les rassure et les sécurise. » C’est cette constance qui a sans doute été aussi été un gage de réussite de ce séjour. Pour Sarah Bouris, ce qui importe, pour des enfants souffrant de ce type de pathologie, c’est une structuration du temps qui fixe des repères stables, évitant des flottements par trop angoissants. Là aussi, cette dimension a contribué au succès du voyage : « je n’ai plus douté de ce projet, quand j’ai vu les jeunes s’investir, comme ils le faisaient. Même si le séjour au Maroc a été un moment fort, tout le travail de préparation qui l’a précédé l’a été tout autant, sinon plus » explique-t-elle. Sophie Manneau confirme l’avis de ses collègues : « un tel projet ne peut réussir qu’en tant qu’aboutissement de toute une dynamique de groupe. » Tous l’attestent : le dynamisme constaté n’a pas concerné que les personnes choisies pour participer au voyage : c’est toute l’équipe éducative et l’ensemble du groupe d’enfants qui ont été porteurs du projet. Sans oublier les cadres de l’institution qui l’ont soutenu et accompagné, encourageant les uns et les autres, tout au long de son déroulement.

Une recette miracle ?

Et puis, il y a la composition du groupe qui n’a pas été choisie au hasard. Les jeunes ont été sélectionnés à partir de leur degré de motivation, de maturité et de l’intensité de leur problématique. Sandro Rousseau Romani l’affirme avec force : « Nous les avions prévenus. S’ils ne savaient pas se tenir, nous étions décidés à les rapatrier. Mais, comme cela se passe aussi dans le quotidien du fonctionnement de l’ITEP, nous avons été attentifs à ne pas faire des associations explosives entre les jeunes ». Des enfants transcendés par le projet d’aller aider d’autres enfants, une attention particulière à la composition du groupe, des professionnels investis dans un projet auquel ils croient, un séjour porté par toute une institution, le soutien actif des cadres, la qualité de l’accueil du peuple berbère… inutile de chercher l’ingrédient majeur. Une telle expérience ne doit son succès qu’à un enchaînement de circonstances. Elle n’est guère reproductible à l’identique, tant elle est marquée au coin de l’indétermination dans la hiérarchisation des conditions exactes qui lui ont valu le succès. Cela aura été et restera la rencontre d’un groupe d’adultes avec un groupe d’enfants, à un moment donné. Certains, parmi les accompagnateurs hésiteraient d’ailleurs aujourd’hui à repartir, de peur de casser la féerie qu’a laissé le souvenir de la première édition. Une certitude toutefois, on a ici le résultat de ce que peut offrir de mieux un groupe de professionnels : un savoir-faire aguerri au fil de l’expérience, le choix de se laisser surprendre par les compétences pas toujours soupçonnées des enfants et surtout une créativité et une conviction dans les vertus de l’innovation et de l’audace chevillée au corps de toute une institution.
 
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Contact : Villa Azur 28 avenue de la mer à La Baule Tel : 02 40 24 18 05
   

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1017 ■ 05/05/2011