Grandir d’un monde à l’autre

Quand on évoque le handicap, on donne le plus souvent la parole aux professionnels. Une petite association anime avec succès, depuis une dizaine d’années, un créneau peu exploité : celui de la transmission de la parole des personnes qui en sont atteintes et de leur famille.
 
Quand son premier fils naît, Olivier Raballand vit, comme bien de pères, le plus beau jour de sa vie. Mais, quand il apprend que Paul est atteint de trisomie 21, il connaît le jour le plus triste de son existence. C’est progressivement, qu’il apprendra à renoncer à sa représentation de l’enfant idéal, pour que celui hors norme qui a vu le jour puisse exister et grandir. Cette expérience, bien des familles la vivent à l’annonce du handicap de leur bébé. Chacune réagit à sa façon. Olivier Raballand, quant à lui, s’est mis à tenir un journal de bord, qu’il rédiga jour après jour : témoignage irremplaçable d’un parent découvrant la paternité en même temps qu’il apprenait à reconnaître la différence. Des dizaines de pages s’accumulent. Elles auraient pu rester dans la confidentialité de l’histoire familiale. Mais, l’envie de faire partager ce vécu l’emporte, petit à petit. Le manuscrit initial est réécrit plusieurs fois, expurgé des passages les plus intimes, conçu pour exprimer ce qu’il y a de plus universel et mutualisable. Travail de longue haleine, nécessitant deux années pour écrire la première version et cinq autres pour la finaliser. Les contacts avec les maisons d’édition sont encourageants, même si aucune ne veut publier ce récit. Olivier Raballand le constate très vite : les besoins en communication et transmission de ce que vivent les personnes en situation de handicap et leur famille sont très loin d’être comblés. L’idée de créer une maison d’édition surgit alors. C’est ainsi que naît  « Grandir d’un monde à l’autre », comme entreprise individuelle d’abord, en mai 2005, puis sous la forme associative, en janvier 2006. L'objectif affiché est de « contribuer à changer le regard porté sur les personnes différentes et particulièrement celles en situation de handicap (…) montrer la valeur ajoutée humaine qu’apporte les diversités dans la société d’aujourd’hui et ainsi contribuer à lutter contre toute forme de discrimination ».

 

Editer

La première ambition va consister à répondre aux demandes de publication de fictions ou de témoignage portant sur la différence. Un comité de lecture se constitue. Un groupe de personnes concernées par le handicap se structure. Le réseau amical se mobilise. L’association déploie une activité permettant une montée progressive en puissance. Les soutiens sollicités répondent positivement : Conseil régional des Pays de Loire, Conseil général de Loire Atlantique, ville de Nantes apportent une aide financière. Le dispositif des emplois aidés permet, dès 2008, la création d’un poste de travail à temps complet. De la centaine de projets reçus chaque année, deux à trois sont publiés. Le catalogue en compte aujourd’hui une vingtaine. Ils se vendent chacun entre deux et trois cents exemplaires, en moyenne. La meilleure vente en a atteint cinq mille : c’est « Mon petit frère de la lune » disponible en dessin animé ou en bande dessinée, présentant le récit plein de tendresse et de sensibilité d’une petite fille décrivant son petit frère atteint d’autisme. Cette petite maison d’édition ne fait pas beaucoup de publicité. Pour diffuser ses productions, elle s’appuie non seulement sur un réseau de petites librairies et sur celui du secteur médico-social, mais elle compte aussi sur le bouche à oreille individuel et la diffusion locale. Le Comité d’Entreprise d’EDF est l’un de ses plus fidèles clients, commandant de grosses quantités pour ses bibliothèques réparties sur tout le territoire.

 

Sensibiliser

Si l’édition a été la première des motivations de l’association, elle n’a pas été la seule. Très tôt, l’édition a été utilisée, pour mener des actions culturelles de sensibilisation à la différence en général et au handicap en particulier. Dès 2008, une première expérience est menée, pour favoriser la rencontre entre enfants valides et enfants atteint de déficience. Deux classes (l’une spécialisée, l’autre dans une école primaire) participent, tout au long de l’année scolaire, à la réalisation d’un livre de poésie. C’est un succès. La rencontre ne va pas de soi. La cohabitation se construit, jour après jour, à partir de petites solidarités conduisant les enfants à se découvrir mutuellement et se connaître. L’opération se renouvèlera, favorisant les établissements regroupant des classes intégrées, les élèves sans handicap et ceux qui en sont porteurs étant alors sur place. C’est que la démarche est couteuse : plusieurs métiers sont convoqués (graphistes, auteurs, relieurs) qui se déplacent pour venir présenter leur travail aux enfants, tout au long de sa réalisation. Un tel projet revenant à 10.000 €, le mécénat est à chaque fois largement sollicité, impliquant beaucoup d’énergie en amont pour obtenir les subventions. Des actions plus courtes sont aussi organisées, qui nécessitent un investissement bien moindre. Elles s’adressent aux lycée qui reçoivent les auteurs de la maison d’édition venant animer avec des ateliers d’écriture.

 

Former

Edition, actions culturelles … l’association a souhaité se décliner sous la forme d’un triptyque. Et sa troisième activité a été dédiée à la formation. Mais, pas n’importe quelle formation : la tenue, tous les deux ans, d’une journée d’étude à la configuration originale qui réunit tant à la tribune que dans la salle des professionnels, des bénévoles, des personnes souffrant elle-même de handicap et leur famille. En 2009, ce colloque s’était donné pour thème « Fratrie & handicap », en 2011 « Construire ensemble ? » et en 2013 « Liberté handicap ». En 2015, le thème retenu était celui de la vie affective et sexuelle. Un groupe de pilotage se constitue dix-huit mois avant la tenue de la journée. Il est constitué de professionnels et de personnes directement concernées par le handicap auxquelles s’adjoignent des personnes ressources. Chacun vient là avec sa sensibilité et son propre angle d’approche. Il faudra quelques mois pour choisir un thème, sélectionné souvent à partir des suggestions proposées par les participants de la session précédente, et finaliser un argumentaire. Pour la journée programmée en 2015, une présentation a été conçue en langage simple pour les personnes en situation de handicap mental. Une maison d’édition ne pouvait passer à côté de la publication des actes de ces colloques. Le choix a été fait d’une version vidéo, plus que papier. Il est donc possible de se procurer, sur DVD, le déroulement de chacune de ces quatre journées d’étude.

 

Filmer

C’est que l’association « Grandir d’un monde à l’autre » a très tôt utilisé le support audio-visuel, pour diversifier ses modes de transmission. Une fructueuse collaboration avec le réalisateur Remy Viville avait déjà permis, en 2003, la production d’un premier film sur l’annonce du handicap, présentant les témoignages de parents face à ce moment particulièrement éprouvant (« L’annonce du handicap : un nouveau départ »). Une nouvelle collaboration permit de concevoir: « Mon frère, ma sœur et … le handicap ».  Puis, ce fut, en 2014, avec le soutien d’« Equilibre Benin-France », un documentaire sur le vécu du handicap dans ce pays (« Regard sur l’enfant handicapé au Bénin »). Forte d’une trentaine d’adhérents et aidée par deux salariés, voilà une association dynamique et créative qui n’a pu déployer son activité qu’en s’appuyant sur le réseau de bénévoles créé autour d’elle. Si son objectif était bien, au départ, de faire entendre le point de vue des personnes avec handicap et de leurs familles, ce n’était pas en opposition avec les professionnels, mais en complémentarité. Pari réussi, si l’on en croit les excellentes relations qu’elle a tissé avec les grandes associations que sont l’ADAPEI, l’APF ou l’APAJH. Reste à continuer à diffuser les productions de qualité qu’elle édite régulièrement, meilleur moyen de pérenniser son action et de rendre possible les futures publications. Invitation transmise au lecteur de Lien Social.
 
Contact : www.mondealautre.fr / contact@mondealautre.fr 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1172 ■ 29/10/2015