Quelle pratique professionnelle face aux MIE ?

Le Réseau Euro-méditerranéen pour la protection des mineurs isolés propose une formation permettant d’éclairer les professionnels sur les enjeux du travail auprès de cette population atypique. Conçu comme un outil destiné à accompagner les acteurs de terrain, il s’agit de construire une dynamique d’échanges, d’expériences et de savoir-faire, en favorisant la diffusion des bonnes pratiques dans le domaine de l’accueil, de la prise en charge et du suivi. Ce qui traverse cette formation, c’est le souci d’élaborer une posture adaptée, en gardant à l’esprit, en permanence, un certain nombre d’axes de réflexion essentiels : les caractéristiques du public concerné, les limites de l’action engagée et les conditions d’une réponse adéquate.

De qui parle-t-on ?

Le premier axe consiste donc, à toujours rester attentif à la problématique d’une population très spécifique, aux contours et aux caractéristiques protéiformes. Un mineur isolé étranger, c’est d’abord, et avant tout, un adolescent. Son errance n’efface nullement les caractéristiques que l’on retrouve à ce moment de l’existence : on se cherche et l’on teste les adultes ; on est en quête de modèles d’identification et on tente de trouver des repères ; on a du mal à se projeter dans le temps et on vit dans l’immédiateté. Si la situation particulière de ces jeunes les amène à mûrir très vite, ils restent malgré tout dans cette fragile transition entre l’enfance et l’âge adulte. Même s’ils ont parfois parcouru des milliers de kilomètres, ils requièrent encore aide et soutien. Mais, un mineur isolé étranger, c’est aussi quelqu’un qui reste imprégné par une culture différente et qui ne parle pas toujours notre langue. Sa confrontation aux usages hexagonaux constitue une source de troubles et de déstabilisation qui nécessite une adaptation pouvant s’avérer difficile et douloureuse. D’où cette autre dimension du mineur isolé étranger, qui est d’être un sujet en souffrance psychique, sinon en crise. L’arrachement à son pays d’origine (et la perte induite de ses repères familiers), un vécu parfois tragique (on ne quitte pas sa famille, pour le simple plaisir de découvrir le vaste monde), un voyage accompli dans des conditions plus ou moins traumatisantes (dont le coût reste souvent encore à rembourser, une fois la destination atteinte), l’arrivée en terre inconnue (avec son lot de bouleversements), etc … sont autant de facteurs de malaises dont il faut détecter les manifestations. Autre facette encore, celle de l’errance vécue, sur une plus ou moins longue période, qui peut reprendre à tout moment, si le jeune est confronté à une trop grande frustration qu’il ne supporte pas ou parce qu’elle n’est pas suffisamment médiatisée.

Que peut-on faire ?

Second axe de vigilance à cultiver : les limites de l’intervention. Les professionnels s’attachent très vite à ces jeunes, tant ils se montrent volontaires, assidus et performants. Contrairement à certains de nos ados parfois peu motivés, ils sont demandeurs et adhèrent avec avidité parfois à l’aide qui leur est apportée. Stupéfaits, parfois, d’assister aux comportements de violence verbale ou de transgression de leurs congénères hexagonaux, les mineurs isolés étrangers contribuent à modérer les tensions. Ils ont très vite conscience qu’ils n’ont pas droit à l’erreur, s’ils veulent garder la plus petite chance de rester en France. Car, c’est bien de cela dont il s’agit et les travailleurs sociaux ne doivent ni se leurrer, ni berner ces jeunes : le risque à terme d’un rapatriement dans le pays d’origine reste fort. C’est pourquoi, l’esprit de l’action engagée au quotidien, avec eux, est bien celui d’un contrat éducatif à durée déterminée. Les équipes disposent d’un temps limité, pour aller le plus loin possible avec ces jeunes, sans aucune garantie d’obtenir leur régularisation à l’âge adulte. Certes, en protection de l’enfance, on ne travaille jamais à partir de la certitude de réussir. Et il n’est pas exceptionnel d’assister impuissant à la descente aux enfers d’un jeune que l’on a accompagné avec succès jusqu’à ses 18 ans et qui ensuite perd pied, refusant une aide qu’on ne peut plus lui imposer. Mais, avec un mineur isolé étranger, le poids du doute est encore plus lourd, qui peut se transformer en désespérance. « Il n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » : plus qu’à toute autre population, cette devise de Guillaume d’Orange s’impose.

Fait-on bien ?

Si dans le domaine éducation, il n’y a aucune recette, ni réponse toute faite, face aux mineurs isolés étrangers, c’est encore plus sensible. Les mêmes actes posés peuvent s’avérer positifs dans certaines circonstances et négatifs à d’autres moments. Faut-il, par exemple, avoir recours aux réseaux regroupant traditionnellement les compatriotes de ces jeunes ? S’ils relèvent de ces amicales qui favorisent l’entraide et la solidarité entre personnes issues de la même région, ils peuvent s’avérer utiles et précieux. Il est possible de les activer pour entretenir les liens des mineurs avec leurs racines, pour retrouver la trace de leur famille ou encore pour obtenir des documents officiels. Mais, s’ils sont imbriqués dans la mafia des passeurs de sans-papiers ou des circuits de travail forcé, de prostitution ou de mendicité organisée, il est alors indispensable de tenir les mineurs à distance de leur influence. Prudence et circonspection s’imposent donc. Autre illustration : la relation aux familles restées au pays. Il arrive que le mineur isolé étranger évoque la mort de ses parents, avant que ceux-ci ne ressuscitent subitement quelques mois après. Rien de miraculeux en la matière. Souvent, le passeur lui conseille de reproduire un scénario tout préparé, sensé présenter les meilleurs chances pour obtenir un titre de séjour. Et le statut d’orphelin a la réputation de le permettre. Le plus souvent, ils sont en fait bien vivants, ces parents. Les rechercher permet de maintenir le lien et de réinscrire le jeune dans sa famille. La question de son éventuel retour peut alors être réfléchie d’un point de vue éducatif. Mais, une telle démarche est à double tranchant, pouvant tout autant servir de prétexte à l’administration, pour décider de son rapatriement. Là encore, réserve et discernement sont de rigueur. Et puis, il y a la recherche de justificatifs officiels en provenance des pays d’origine. La corruption ou la non fiabilité des services d’État civil locaux aboutissent parfois à l’obtention de vrais faux documents, susceptibles de se retourner contre des professionnels, même de bonne foi, accusés alors de falsification. Autant de questions ne trouvant de réponse qu’au cas par cas.

Le travail avec la population des mineurs isolés étrangers peut s’avérer à la fois des plus valorisant, que cruellement décevant. Il peut susciter alternativement l’enthousiasme le plus fort et le découragement le plus profond que la bienveillance la plus grande et la révolte la plus rageuse. Reste le défi d’accomplir notre travail, sans le conditionner à l’obtention effective des résultats escomptés. Ce qui constitue quand même son essence.


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Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1047 ■ 26/01/2012