De la périphérie au cœur du problème
-
dans Billets d'humeur
L’actualité met enfin en exergue ces violences éducatives qui émeuvent aujourd’hui une opinion publique qui les a pourtant si longtemps banalisées. La libération de la parole des victimes de Bétharram a amorcé la pompe de bien d’autres révélations d’anciens élèves aux quatre coins du pays. Il faut s’en féliciter, sans aucune hésitation, ni aucune ambiguïté. Ces pratiques indignes sont à juste raison dénoncées à hauteur de ce qu’elles sont : des atteintes insupportables à l’intégrité et à la dignité humaine.
Pourtant, une question essentielle se pose : pourquoi ont-elles perduré pendant des décennies dans la plus profonde indifférence ? L’une des nombreuses réponses possibles se trouve, sans doute, dans le fonctionnement éducatif d’un certain nombre de familles, les institutions n’ayant fait que reproduire ce qui se passait à la maison.
Le focus est orienté aujourd’hui sur la dénonciation des violences institutionnelles. Oui, elles ont existé dans les écoles, dans les internats, dans les clubs sportifs, dans les colonies de vacances … et les établissements de l’ASE. Pourtant, le rapport 2023 de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), qui a documenté avec précision les espaces où ont sévissent les agressions sexuelles, précise que si le cadre institutionnel a bien été bien concerné dans 11% des cas, c’est bien la famille et l'entourage proche qui furent les principales scènes de ces violences, ce à raison respectivement de 81% et 22% des situations. Les statistiques concernant la répartition des « simples » violences physiques restent à établir.
Combien, parmi les bonnes âmes qui se disent choquées par le récit de ces violences anciennes, font partie de ces 25% de parents reconnaissant avoir donné une fessée dans la semaine précédent le sondage mené en 2024 ? La violence éducative n’est pas seulement celle des d’un terrifiant passé, c’est aussi celle qui commence par ces gestes inappropriés auxquels chacun(e) peut recourir. Au détour d’une journée trop chargée et/ou d’une fatigue accumulée, la perte de patience peut potentiellement réaction violente. C’est cette fameuse claque « qui n’a jamais fait de mal à personne » et qui fait surtout du bien à l’adulte quand il est trop excédé.
Les professionnels de l’enfance combattent, depuis un certain temps déjà, cette pédagogie noire qui cherche à dominer l’enfant par les coups et les humiliations. Certes, cela n’a pas toujours été le cas. Mais, aujourd’hui, il est de plus en plus rare qu’un enseignant, un animateur, un travailleur social y ait recours. Et quand l’un(e) d’entre eux (elles) dérape, il (elle) en subit les conséquences, tant de la part de son employeur que de la justice. L’agression est beaucoup plus difficile à ignorer et à dissimuler. La médiatisation récente va renforcer encore cette réprobation et la nécessaire vigilance. Et c’est une grande avancée.
Rappelons, néanmoins que, selon le rapport de l’IGAS en date de 2019, si un enfant meurt tous les cinq jours, victime de coups mortels, ce n’est pas un professionnel qui le tue, mais bien l’un de ses parents. Ce fléau qui se déroule dans l’espace intime et non public ne doit pas être dissimulé derrière le légitime émoi face aux violences répétées dans les établissements catholiques. Le droit de correction est encore bien loin d’avoir disparu.
Les institutions sont bien loin d’être encore toujours exemplaires. Il est indispensable de redoubler de vigilance afin de faire reculer celles qui s’y déroulent encore. Mais, cela ne doit pas dissimuler la réalité de cette violence intrafamiliale sur-représentée dans la maltraitance infantile. S’il ne faudra jamais détourner le regard de ce qui se passe dans les établissements, il faut redoubler d’efforts pour accompagner les familles.