Le droit à mourir est-il légitime ?
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dans Billets d'humeur
La loi sur le libre choix de sa fin de vie fait l’objet d’un âpre débat tant dans l’enceinte du Parlement que dans la presse ou l’opinion publique. Un sondage réalisé par l’IFOP le 13 mai 2024 donnait une adhésion de 92 % des personnes interrogées se disant favorables à l’euthanasie (administration d'un produit létal par un tiers). Le 12 mai de cette année, le même institut de sondage révélait que 68 % des médecins se prononçaient pour l'euthanasie et 60 % approuvaient la légalisation du suicide assisté (auto-administration d'un produit létal). L’affaire semble donc pliée. Mais, c’est sans compter sur la force d’autorités morales traditionnelles dont l’influence ne faiblit pas, malgré leur isolement. Plusieurs argumentations se sont manifestées.
Les premières se fondent sur une vision religieuse de l’existence. La mort ne pourrait être décidée que par Dieu. Que les croyants professant cette conviction l’appliquent à eux-mêmes est tout à fait honorable. Qu’ils aient le sentiment de revivre la passion de leur Christ dans les souffrances qu’ils vont affronter dans une ultime épreuve et preuve de leur profonde fidélité à leur religion, cela leur appartient. Mais pourquoi imposer leurs conceptions aux autres ? De la même manière qu’il est hors de question d’abréger leurs tourments contre leur volonté, les privant ainsi de leur ultime témoignage de dévotion, pourquoi veulent-ils à l’inverse contraindre les autres à suivre la même voie qu’eux, si tel n’est pas leur choix ?
Vient ensuite l’argument philosophique d’une rupture anthropologique que constituerait ce nouveau droit considéré comme une transgression majeure d’un interdit absolu. La question qui se pose pour toute civilisation est bien de définir la place de l’individu face à sa communauté de référence (ethnique, religieuse, culturelle etc…). Pendant longtemps totalement soumis à la pression de son groupe, l’individu a toujours essayé d’exister par lui-même. Son émancipation qui se déploie, depuis quelques décennies, a fait l’objet de nombreuses critiques. En cause, ces dérives égotistes fondées sur un sentiment d’auto-engendrement venant détruire le lien au collectif. Si la balance s’est mise enfin à pencher du côté de la liberté individuelle, après l’avoir fait du côté de la pression du collectif pendant des milliers d’années, elle est sans doute en train de s’équilibrer. La possibilité de décider de sa mort constitue une étape importante dans la conquête du droit à choisir pour soi-même, en rompant avec l’obligation tyrannique de s’en soumettre toujours à la décision des autres. Le choix de sa fin de vie constitue, après l’opportunité de décider où aller, en quoi croire ou non, comment vivre, avec qui se mettre (ou non) en couple, avoir (ou non) des enfants etc… une ultime liberté.
Et puis, il y a le fonctionnement binaire excluant toute nuance, imposant un choix exclusif entre le pour et le contre. C’est le cas de l’association JALMAV farouchement opposée à toute forme d’euthanasie et/ou de suicide assisté. Seuls les soins palliatifs auraient droit de cité, leur mise en œuvre dans de bonnes conditions excluant forcément toute tentation chez les personnes en fin de vie d’avoir recours au moindre choix. https://www.jalmalv-federation.fr/?s=euthanasie
Opposer ces soins au droit de choisir sa mort relève d’une démarche idéologique et dogmatique peu convaincante, tant il est difficile à comprendre la logique de cette opposition radicale. Même argumentation chez Handi-social association anti-validiste opposée, elle aussi, à un accès à la mort qu’elle accuse de dérive eugéniste venant suppléer aux manquements de la société envers les personnes les plus handicapées. https://www.handi-social.fr/articles/actualites/ressources-antivalidistes-pour-lutter-contre-la-loi-fin-de-vie-1887361
Toutes ces critiques méritent d’être entendues. Mais pas pour leur prétention exorbitante et totalitaire à se revendiquer de tous les croyants, de toute la philosophie, de tous les accompagnants de la fin de vie, de toutes les personnes porteuses de handicap et certainement pas de toutes les personnes se trouvant à la porte de la mort. Si elles doivent effectivement être prises en compte, c’est au nom de toutes les dérives potentielles qu’elles dénoncent. Notre société doit accompagner les plus fragiles et non leur donner le sentiment qu’étant devenus un poids pour leurs proches, un coût pour les assurances sociales, une charge pour la collectivité, il vaudrait mieux qu’ils/elles disparaissent. Il est du devoir de la solidarité nationale, de la protection de l’Etat et de la justice sociale de leur apporter soutien et aide, assistance et réconfort, postures et prestations considérées non comme une option envisageable, mais comme une obligation inconditionnelle.
C’est là un principe essentiel et non négociable. Fort de ce dispositif d’action sociale qui doit d’être développé, renforcé et garanti, il revient à chacun(e) de décider jusqu’où en bénéficier et à quel moment y mettre un terme. Il ne peut y avoir seulement dépénalisation du droit à décider de sa fin de vie (même si nombre de cours d’assises ont récemment acquitté de vieilles personnes ayant aidé leur conjoint(e) à mourir). Il faut effectivement une légalisation imposant des conditions strictes permettant d’accéder à l’euthanasie ou au suicide assisté. Les conditions sont multiples. Citons-en quelques-unes. Un dialogue permanent avec un malade devant toujours rester maître de la décision. Une information complète et éclairée sur son état et les alternatives qui lui sont proposées. Une procédure rigide et un protocole d’application intransigeant faisant l’objet d’une vérification postérieure par une commission attentive et vigilante disposant de pouvoir de sanction et de saisine de la justice, en cas de non-respect.
Pourvoir choisir en étant respecté dans son consentement, en écartant autant que faire se peut les pressions pour encourager ou décourager : tel est l’enjeu de ce nouveau droit qu’il nous faut réussir à conquérir.