Le hasard de mes pérégrinations m’a fait croiser une association peu connue du grand public que j’ai trouvée exemplaire. Il s’agit d'Orphéopolis (nommé Orphelinat mutualiste de la Police nationale jusqu'en 2003). Créée en 1921, elle s’adresse aux familles et aux enfants de policiers décédés, en service, par suicide ou suite à une maladie. Eloignons la polémique sur les violences policières. Ce dont il s’agit, c’est bien des mômes et de la détresse qui est la leur quand l’un de leurs parents vient à disparaître.

Selon un rapport parlementaire déjà daté puisque rendu en 2014, 36 policiers nationaux étaient morts en mission dans la décennie précédente. Depuis, les statistiques sont muettes. Sauf pour les 27 suicides intervenus dans ce corps de fonctionnaires en 2024 (15 à 20/100 000 habitants). Certes, on est loin du taux d’accident de travail dans le BTP (146 par an) ou du taux de suicide du secteur de la santé et de l'action sociale (34,3/100 000). Mais peu importe. Un enfant est un enfant. Une disparition tragique est une disparition tragique. Le chagrin d’un enfant face  à la disparition d’un parent est un chagrin d’enfant.

La corporation policière a conçu un système de solidarité particulièrement spectaculaire qui mérite d’être présenté. L'association, recevant très peu de subventions publiques ou de mécénat d’entreprises, est financée à 95 % par des dons et legs de 130 000 particuliers. Elle est organisée en cinq régions distinctes. Un « référent social » est mis à disposition dans chacune d’entre elles. Ce ne sont pas des travailleurs sociaux, mais des policiers mis à disposition par l’administration. Ils sont formés et se réunissent tous les mois pour des séances de débriefing. A l’annonce du drame, ils se rendent le plus vite possible auprès de la famille pour lui proposer leur soutien. Une aide financière d’urgence peut être accordée pour faire face à la situation.

Mais, Orphéopolis ne se contente pas d’intervenir ponctuellement. L’association propose un suivi des orphelins jusqu’à leur 30 ans ! L’accompagnement jalonne les étapes clés de leur vie : bourse d'étude, aide pour des activités sportives et culturelles, allocation de rentrée scolaire, prime de réussite à un examen, aide pour passer le permis de voiture ou le BAFA, financement de places en colonie de vacances, aides pour les orphelins porteurs de handicap, à la poursuite des études supérieures et au logement étudiant (Orphéopolis loue 20 appartements dont elle est propriétaire dans les villes universitaires)  ... Y compris pour une création d'entreprise.

Encore plus étonnant, il arrive que certains orphelins en conflit avec le parent survivant et justifient un éloignement du milieu familial. Dès 1921, un « orphelinat » avait été créé à Osmoy (Yvelines). Si cette maison d'enfants a été fermée en 2005, trois autres fonctionnent toujours, accueillant 150 pensionnaires : à Agde (ouverte en 2002), Bourges (2006) et Nancy (2009). Structures mutualistes privées, ces établissements fonctionnent dans la pure logique de solidarité professionnelle ne s’adressant qu’aux enfants des familles appartenant à la corporation policière.

Quel que soit le regard potentiellement critique porté sur cette association corporatiste, trois remarques s’imposent à mes yeux. Les prestations sont hors du commun par leur exemplarité et leur solidarité à l’égard d’enfants frappés par le malheur. Elles démontrent la capacité de mobilisation exemplaire d’un groupe professionnel pour protéger les plus fragiles de ses membres et de leurs proches. Elles devraient servir d’exemple et de modèle pour une action sociale qui s’étende au-delà du métier de policier. Mais ce n’est pas le problème d'Orphéopolis. C’est celui des citoyens qui seraient légitimes à se mobiliser pour généraliser de telles prestations. Aujourd'hui, 3 000 orphelins de la police (dont 1 000 mineurs) sont accompagnés par cette association mutualiste. Quand et comment faire aussi profiter d’un tel dispositif les près 600 000 autres orphelins de moins de 25 ans que compte notre pays ?

A consulter : Orphéopolis au Vendée globe :  https://www.youtube.com/watch?v=1wdBV5LvfpE