Mon Sentier va Cracker
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dans Carte blanche à
Alors bien que j’aurais divinement apprécié être à l’origine de ce titre, il ne provient toutefois pas de mon esprit ironique. Paradoxalement, « Mon Sentier va Cracker » cache des idées bien plus pernicieuses que celles de travailleurs sociaux à l’humour douteux.
Apprenez ici qu’il s’agit du nom d’un groupe Whatsapp qui se défini comme « Collectif Citoyen Sécurité Salubrité » (1). Ce dernier réuni des habitants d’un quartier parisien bien connu : le Sentier. Les membres de ce groupe, convaincus de leur bien-pensance, assument pleinement l’utilisation de cet outil de communication comme un recueil de données et d’éléments de délations contre les consommateurs de Crack, qui fréquentent leur quartier. Dans sa description, ce groupe donne accès aux lignes directes de la BAC de jour et celle de nuit.
D’après vous, quelle est l’origine de la création de ce groupe particulièrement hostile aux usagers de drogue ? La raison est simple : le CAARUD (2) d’AIDES (3) a récemment déménagé sous leurs fenêtres. Rappelons-le ici, l’addiction est une maladie reconnue par l’OMS quand le CAARUD est un centre de soins spécialisés de lutte contre la propagation de maladies transmissibles. Par ailleurs, le quartier du Sentier est inscrit, de manière historique, dans la trajectoire des toxicomanes. Ces derniers circulent, en flux constants, de Porte de la Chapelle, passent par Stalingrad, la Gare du Nord et Strasbourg Saint-Denis, pour arriver au cœur de Paris : le Forum des Halles. Ce phénomène n’est donc pas si nouveau que ça et c’est pourquoi l’implantation d’un CAARUD sur ce secteur est ainsi pleinement pertinente. Cependant, les riverains ne le voient pas d’un bon œil car ce service est un appel d’air à une population extrêmement précaire et anxiogène. Ici, la déchéance effraie mais ne questionne nullement la possibilité d’être soi-même atteint.
Maintenant, intéressons-nous au contenu et aux échanges de ce groupe. Au-delà de diffuser publiquement des photographies – prises depuis leurs balcons luxueux – d’usagers de drogue et de professionnels du CAARUD, ils commentent allègrement et fâcheusement des circonstances qui ne conviennent pas à leur confort individuel.
"Ce sont des PNJ chargés de propager la Bonne Parole du Caarud. Des évangélistes de la Bien Pensance misérabiliste."
Vous lirez donc des lignes comme ci-contre, qui décrivent les travailleurs sociaux dudit CAARUD. Ici, vous comprendrez que de vieux réactionnaires conformistes ne se cachent pas derrière ces messages. Il s’agirait plutôt d’une jeunesse qui utilise le terme de PNJ (4). Bref, nous nous éloignons donc d’un groupe de catholiques puritains, friqués et d’extrême droite. En outre, vous pouvez facilement rejoindre ce groupe alors que vous achetez vos graines de Chia au Naturalia du coin.
"Et nous nous sommes des bobos parisiens friqués qui nous en fichons de la misère humaine…A vomir tout leur discours !"
Le message suivant nous en apprend légèrement plus grâce à son ton ironique, qui ne pourrait pas être plus proche de la vérité. Nous avons donc effectivement affaire à une jeunesse gaucho-caviar. Entendez bien : ils vivent en plein centre de Paris dans des logements luxueux, cependant ils se considèrent de gauche car ils votent Anne Hidalgo. De fait, leur gentrification et ses standards individualistes causent la disparition de quartiers populaires, de leur culture et de leur charme.
Nous avons donc à faire à des socialistes de la gauche molle, mais de la gauche quand même. Tenez-vous bien, ils prévoient de se réunir, dans un bar à vin cossu du quartier, afin d’organiser une manifestation. Oui ! Rien de mieux que des gauchos qui manifestent uniquement pour leur propre intérêt plutôt que celui de la santé publique (5). A quel moment cherchent-ils à comprendre les phénomènes sociétaux à l’origine de cette extrême précarité qui s’étale sous leurs fenêtres ? Ils le disent, ils préfèreraient que cette déchéance reste cloisonnée ailleurs. Alors, quand envisagent-ils que leur gêne n’en soit que démultipliée dans d’autres quartiers en souffrance ? Les habitants des quartiers nord seraient-ils plus à même d’assimiler cette misère équivoque ?
S’ils souhaitent vivre dans des rues paisibles où seul l’ennui se déroule sous leurs fenêtres, ils peuvent tout aussi bien retourner dans le 15ème arrondissement qui, lui, expérimente l’application « Voisins vigilants » (6), une nouvelle forme de gestapo passive.
Enfin dans ce contexte, ne serions-nous pas témoins de phénomènes idéologiques comme sociologiques – observés à micro échelle –, en faveur de la ghettoïsation de certaines populations ? Ce courant de pensées, me semble-t-il, n’est autre que le type de manifestations aux préludes de guerres passées, présentes et futures. Il ne faut jamais oublier que l’intolérance finit par tuer.
- Vous les trouverez sur Facebook sous le même nom
- Centre d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues
- Créée en 1984, AIDES est la première association de lutte contre le sida et les hépatites en France et en Europe. Elle est reconnue d'utilité publique et labellisée "don en confiance" par le Comité de la Charte
- PNJ signifie Personnage Non Joueur, utilisé plutôt dans le langage gamer.
- On me souffle à l’oreillette qu’ils ont obtenus gain de cause : le CAARUD a fermé ses portes temporairement !
- La Mairie du 15ème arrondissement adhère à ce dispositif et répond à chaque alerte par l’envoi de la Police Municipale.