Crâne rasé et boucle WhatsApp: au-delà du dégout
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dans Carte blanche à
Carte blanche à Ludwig
Cela fait plus de vingt ans que je suis éducateur, aujourd’hui passé du côté de la formation. J’en ai vu des choses en 20 piges, des comportements inadaptés de professionnels, de violences institutionnelles tout comme j’ai pu voir de merveilleux accompagnements et observer une majorité de collègues compétents qui font de leur mieux pour accompagner avec bienfaisance les usagers. Mais les images d’un gamin au crâne rasé, il fallait le faire. Pour nous replonger dans les entrailles de l’éducation surveillée ou des bagnes pour enfants. Il y a cette infirmière, aussi, condamnée pour avoir tenue des propos humiliants et avoir filmé une personne âgée en fin de vie en EHPAD. Deux situations filmées et diffusées, qui jettent l’opprobre sur toutes les professions de l’aide à la personne, de l’action sociale et de la santé. Sans compter le scandale de la prostitution des mineures en foyer érigé en ASE Bashing, et j’en passe. Au-delà des images scandaleuses et dégueulasses, des émotions vives, que cela vient nous dire ?
Ce que l’on sait déjà, malheureusement : l’action sociale et la santé, l’éducation ne sont pas une priorité. Les hôpitaux sont aux abois et la protection de l’enfance au fond du trou. Peut- être faut-il creuser encore, tant il y a toujours plus profond que le fond…Les causes sont structurelles et systémiques, les professions n’attirent plus, le taux de « faisant fonction » non formés explose, l’intérim est un recours au secours, l’épuisement au travail exponentiel. La surcharge de travail des cadres et les glissements de tâches ne leur permettent plus, parfois, d’être avec leurs équipes et de les encadrer, de les diriger avec proximité et bientraitance. Quand il ne s’agit pas de dysfonctionnement managérial criant, ce qui existe aussi. Il ne suffit pas seulement de promouvoir une loi 2002-2 et d’afficher une charte de la bientraitance. Encore faut-il avoir les moyens de sa mise en exécution.
Nul ne s’improvise professionnel du travail social : on dénombre 18 métiers du travail social, avec chacun leurs spécificités, c’est pour dire ! Mais il y a des points communs à mettre ici en avant : ceux de la formation nécessaire et ceux de la posture et de l’éthique professionnelle.
Ah, l’éthique ! Le travail auprès des personnes en difficulté nécessite le respect de valeurs morales. Il est donc indispensable que le travailleur social ait un positionnement déontologique (selon la profession) et éthique. En cela, il doit s'engager à respecter les droits fondamentaux de la personne aidée ; ses biens et son intimité ; sa culture et sa religion ; ses choix de vie et ses choix éducatifs.
L’éthique est donc une invitation au questionnement, qui va au-delà de la morale et protège les droits des êtres humains. C'est la réflexion sur la bonne manière d'agir dans les situations parfois complexes. Elle invite à prendre du recul, à confronter ses points de vue, à se demander ce qui est juste, respectueux et bien pour la personne accompagnée. Elle invite à interroger notre position dans la rencontre avec la personne accompagnée, ou bien encore avec empathie et bon sens, se demander : « et si j’étais à sa place ? »
C’est une réflexion sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, bon ou mauvais, une réflexion complexe et profonde sur la manière dont les êtres humains devraient se comporter dans diverses situations. En cela, l’éthique cherche à établir des normes et des principes pour guider les comportements humains dans divers contextes, en tenant compte des valeurs, des devoirs et des conséquences des actions. Des principes nous orientent, comme la bienfaisance, la malfaisance, l'autonomie et la justice. Attention, l'éthique se distingue de la morale : il s’agit de formuler des jugements éthiques et de résoudre des dilemmes moraux dans des contextes variés, qu'ils soient personnels, professionnels ou sociétaux.
L’éthique, dès lors, ne va pas sans faire appel au secret professionnel ou à ce que l’on nomme la discrétion professionnelle, la confidentialité des informations, pour le respect de l’intimité et des situations des personnes accompagnées. Par ailleurs, ce prolongement par des réseaux sociaux du temps professionnel sur temps le personnel pose question. Au-delà du droit à la déconnexion des salariés, ce qui interroge est aussi l’utilisation de ces groupes à des fins de circulations d’informations confidentielles et d’humiliations, de moqueries. Il y a là des actes condamnables juridiquement.
Il est sûr, dans les situations de maltraitance que j’évoquais en exemples, que certains professionnels devraient aller en formation ou y retourner. Ou s’en aller. Ou être sanctionné, révoqué, jugés.
Il y a sans doute, au-delà des émotions, des pistes de résolutions à avancer.
Face à des professionnels peu ou pas formés, la formation intramuros des équipes doit se développer, tout comme permettre l’accès à la formation initiales en établissements de formation en travail social afin d’apporter toute la complexité de nos agir professionnels, et pas seulement aux validations des acquis de l’expérience, intéressantes mais parfois choisies comme une voix d’accès économique à la diplomation. L’analyse des pratiques professionnelles se doit d’être investie afin de favoriser recul et réflexion. Les métiers doivent retrouver de l’attractivité par des salaires décents et des moyens à la hauteur des défis sociétaux. Mais quand il s’agit de préparer la guerre, nous savons où vont les priorités. N’ayons pas honte de nos métiers salis par une minorité. Rappelons sans cesse que face au voyeurisme des scandales, nombre de professionnels exercent leur métier avec intérêt, engagement, professionnalisme. Certes, peu d’émissions en prime time s’en font écho pour souligner, aussi, ce qui fonctionne bien.
Enfin, et je terminerai ce long billet là-dessus, victimes ou témoins d’agissements malfaisants voire de maltraitance, nous devons agir. Pas seulement parce que nous exerçons des responsabilités morales, civiles ou pénales qui peuvent être engagées, mais parce que nous en avons le devoir. Au risque de rappeler le dicton des trois petits singes : ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre. Vous pouvez dès lors alerter votre hiérarchie, contacter le 119 s’agissant de l’enfance maltraitée et en informer l’ASE, le 3977, numéro d'écoute et d'accompagnement mis en place pour avertir d'une maltraitance à l'encontre d'une personne vulnérable, le 3919 d’agissant des violences faites aux femmes, saisir le procureur de la république…
Cet enfant placé au titre de l’enfance en danger et tous les autres doivent être protégés, sans qu’il soit question de (re)dressage. Les responsabilités de ces actes doivent être établies, les sanctions exemplaires. Et cela vaut pour toutes les maltraitances sur les publics dits vulnérables.
Nos merveilleux métiers de la relation d’aide valent mieux que ces faits sordides. Merci à tous mes collègues travailleurs sociaux, soignants, qui œuvrent chaque jour à l’accompagnement des plus fragilisés en faisant ce qu’ils peuvent, à leur niveau, dans une posture professionnelle la plus adaptée possible, avec engagement, bienfaisance, éthique et déontologie.