«C’est dans la vertu qu’on rencontre les pires excès»

Qu’il peut sembler rassurant de détenir la certitude chevillée au corps, de ne jamais être traversé par le doute et d’avoir une foi inébranlable dans ce qu’on défend. Il arrive toutefois que l’évidence s’avère plutôt être un colosse aux pieds d’argile !

De qui est-il question ?

Vous savez, de celles et ceux qui affirment sans aucune hésitation que prendre le temps d’analyser la parole de l’enfant qui révèle être victime d’agression sexuelle dans sa famille, c’est se montrer complice des viols qu’il a subis. Car, si pendant longtemps il fut accusé de mentir, aujourd’hui il ne peut que dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, on peut le jurer.

Vous savez, de celles et ceux qui affirment sans aucune objection envisageable que l’aliénation parentale est un concept utilisé par l’agresseur pour neutraliser la dénonciation dont il fait l’objet et retourner l’accusation contre la victime. Jamais, oh non au grand jamais, un parent ne saurait instrumentaliser son enfant, le manipuler pour se venger du conjoint avec qui il est en conflit. Cela n’existe tout simplement pas.

Vous savez, de celles et ceux qui présentent sans aucune autre contestation possible l’inceste comme relevant du registre systémique d’une domination patriarcale qui organise l’impunité des pères qui violent leurs enfants. Qu’on se le dise : il n’y a qu’un et un seul facteur explicatif à l’inceste. En évoquer d’autres, c’est se montrer l’otage de cet asservissement millénaire.

Finalement, le plus simple ne serait-il pas de supprimer tout le travail d’enquête policière, d’investigation judiciaire et d’évaluation socio-éducative ? Il suffirait alors d’accueillir la parole de l’enfant et/ou de son parent, de la traduire aussitôt en mesures judiciaires contre la personne dénoncée... et d’ailleurs pourquoi ne pas la juger et la condamner aussitôt sur la simple plainte exprimée ? Il ne semble n’y avoir qu’à ce prix que la société puisse vraiment entendre la victime et la protéger.

Voilà une nouvelle illustration du raisonnement binaire dont notre société hexagonale raffole. Il n’y a que deux camps : celui des victimes et celui de leurs agresseurs. Quand les premiers dénoncent les seconds, la messe est dite. Aucune incertitude ne peut émerger, aucun questionnement n’est possible, aucune interrogation ne peut se manifester. Au risque de passer du côté de l’agresseur.

Bien sûr qu’il faut écouter avec attention ce que révèle un enfant et penser en premier et avant tout à le protéger. Mais plutôt que de croire à ce qu’il dit, il faut croire en ce qu’il dit : la détresse, les angoisses et la souffrance que génère sa mise en danger potentielle nécessite toujours une intervention, et ce qu’il dise ou non la vérité.

Effectivement, il faut se montrer méfiant et prudent quand le parent accusé ou son avocat brandit comme argument de défense le syndrome d’aliénation parentale. Mais plutôt que d’invalider par principe cet argument, il faut évaluer le degré de fusion entre l’enfant accusateur et son parent, mesurer la proximité du discours de haine que l’un et l’autre tiennent, jauger les motivations de l’expression de l’enfant, rester ouvert à une éventuelle manipulation de l’un ou l’autres des parents, établir le plus précisément possible le danger vécu par l’enfant. Entre une mise à l’abri immédiate et une temporisation, la responsabilité des autorités est entière quant aux conséquences induites.

Bien entendu, il faut avoir conscience du poids historique et sociologique d’un patriarcat qui a privilégié et privilégie encore la toute-puissance paternelle, lui reconnaissant un droit de prééminence sur sa conjointe et sa progéniture. Si celle culture d’oppression n’était pas encore si puissante, comment expliquer les 160 000 agressions sexuelles annuelles évoquées par la CIVISE (Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) ? Même si la statue du commandeur patriarcal est très loin d’avoir été déboulonnée, elle vacille quand même sur son socle. Même s’il reste encore beaucoup de progrès à accomplir, il apparaît déraisonnable et excessif de passer sous silence les évolutions opérées depuis trente ans.

Les révélations médiatiques des victimes, la prise de conscience d’une réalité si longtemps déniée, la vague de dénonciations d’un mouvement METOO particulièrement bienvenue nous bouleversent, nous scandalisent et nous révoltent. Mais cette légitime émotion justifie-t-elle de quitter la complexité de la problématiques au profit de solutions simplistes et contre-productives car difficilement applicables par une justice démocratique ?

Continuons, approfondissons et persévérons dans cette protection de l’enfance qui doit toujours plus s’affiner, se perfectionner et corriger ses dérives. Mais évitons cette radicalité qui nuit à la cause qu’elle entend défendre.

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« Aujourd’hui à la retraite, Jacques Trémintin a accepté ce défi et il sait de quoi il parle, cette institution, il lui a consacré près de trente ans de sa carrière professionnelle. Il en connaît les arcanes, les moindres recoins. Il en connaît les hommes et les organisations, il a soutenu ses ambitions, s’est heurté à ses contradictions. Il a côtoyé tant d’enfants que ces enfants font désormais partie de lui. Il le dit lui-même, il s’est trompé parfois, il a essayé souvent, mais jamais il n’a triché. » (Extrait de la préface de Xavier Bouchereau, ancien éducateur spécialisé en AEMO, chef de service éducatif)

 « 100 idées reçues sur l’aide sociale à l’enfance » Jacques Trémintin, Éd. EHESP, 2024, 313 p.

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