Troubles du comportement : comment réagir ?

On ne peut pas ne pas les avoir croisés ces enfants désignés comme « caractériels », « hyperactifs », « insociables », « asociaux », « instables », « colériques », « remuants », « turbulents »... On ne peut les manquer. Ils se font tout de suite remarquer. Heureusement, ils sont en minorité dans le groupe. Mais, à eux seuls, ils dépensent plus d’énergie et font plus de bruit que tous leurs petits camarades réunis ! Ce dossier leur est entièrement consacré. Pas moyen ici de trouver une recette miracle ou une solution clé en main, pour les gérer. Juste une grille de décodage permettant d’identifier la problématique et de la comprendre. Il reviendra ensuite au lecteur de tenter de trouver le savoir-être et le savoir-faire les plus adaptés et jamais transposables, chaque situation étant unique.

 

Identifier pour comprendre

La première étape de notre cheminement va tenter de bien identifier ce dont on parle. Les scènes évoquées sembleront sans doute familières. Les rappeler permet néanmoins d’e préciser les comportements concernés, ceux qui posent problème au quotidien.

Jules est vécu dans ce centre maternel comme la terreur des bacs à sable. Il est surveillé de près. Mais, rien n’y fait. Il mord, il tire les cheveux, il pousse les autres enfants. Il n’en fait qu’à sa tête et ne semble sensible à aucune remontrance. Pourtant, il est repris systématiquement. A chaque incident, on lui explique patiemment pourquoi il ne doit plus agir ainsi. Des parents se sont venus se plaindre à la directrice. Wilfried, l’animateur, compte les enfants montant dans le car, pour le retour au centre : 22, 23, 24 … « Zut, il en manque un ». Inutile de chercher très longtemps. Il suffit de balayer du regard le groupe d’enfants assis sur leur siège, pour identifier l’absent : bien sûr, c’est Jade. Le chauffeur commence à râler : il doit tenir les horaires, pour être à l’heure pour le client suivant. Wilfried retourne dans le hall de la piscine. Il y trouve l’enfant posté devant le distributeur de boissons. Interpellé, Jade se rebiffe : elle a quand même droit de se payer une canette ! Qu’elle mette en retard tout le groupe ne l’effleure même pas. Ludovic participe avec l’ensemble de la colo à un grand jeu de pistes. Chaque équipe doit répondre à un questionnaire ou se confronter à une épreuve, stand après stand, pour obtenir le précieux indice permettant d’identifier l’étape suivante. L’adolescent se porte tout de suite volontaire pour remplir la première mission donnée. Manque de chance, il échoue. Ce que tout le monde craignait survient. Il se vexe et décide d’abandonner le jeu. Il s’enfuit, contraignant les animateurs à le chercher partout. Il est retrouvé au bout d’une demi-heure, boudant dans son coin. Certes, le jeu collectif a changé d’objectif : chercher un ado disparu. Mais, l’après-midi est quand même gâchée.

 

Décodage

Pour être pénibles, ces comportements sont néanmoins fréquents chez l’être humain. Se montrer agressif, quand on se sent menacé ou attaqué relève d’un instinct de conservation présent chez tout un chacun. La différence, c’est que si les uns réussissent à se contrôler, certains ont plus de mal à y parvenir. Manifestement, Jules vit les autres enfants comme un danger potentiel et s’en défend en les agressant. Il va avoir besoin de beaucoup plus de temps, pour canaliser ses pulsions. Passer avant tout le monde, en pensant surtout à soi, cela n’a rien d’exceptionnel. Établir un équilibre entre ses intérêts et ceux des autres est une démarche permanente qui n’a jamais de terme. Se sacrifier pour autrui ou faire preuve d’un égoïsme autocentré sont deux postures extrêmes entre lesquelles chacun évolue, se rapprochant d’une extrémité ou de l’autre, selon les circonstances. Jade n’agit ainsi, qu’en pensant à son désir immédiat : étancher sa soif est bien plus important que de rejoindre le groupe dans le car. En tout cas, elle établit de fait une priorité. Qui peut affirmer n’avoir jamais décidé de se servir en premier ou faire en sorte que l’accessoire précède l’essentiel ? Quant à la bouderie de Ludovic, bien prétentieux serait le lecteur affirmant qu’il n’a jamais mal pris une plaisanterie, une remarque ou une confrontation, au point de tourner les talons ! Le propos n’est pas ici de banaliser les situations de tensions provoquées par un enfant mettant son groupe de pairs en colère et les animateurs en difficulté. Il est de rappeler d’emblée qu’il ne s’agit pas là d’un dysfonctionnement que l’on pourrait placer en dehors de notre nature humaine : elle se situe, au contraire, au cœur de son essence même. La question, dès lors, ne serait pas qualitative, mais quantitative : c’est l’accumulation de ces postures qui, d’ordinaire ponctuelles, se manifestent d’une manière bien plus systématique qui pose problème, pas tant le comportement en lui-même. Là où bien des enfants réussissent à se contrôler, d’autres pas.

 

Définition
Des « enfants, adolescents ou jeunes adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l'expression, notamment l'intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la socialisation et l'accès aux apprentissages. Ces enfants, adolescents et jeunes adultes se trouvent, malgré des potentialités intellectuelles et cognitives préservées, engagés dans un processus handicapant qui nécessite le recours à des actions conjuguées et à un accompagnement personnalisé » Décret 2005-11

 

 

Comprendre pour gérer

Quel profil dresser de ces enfants au comportement si souvent ingérable. L’AIRE, l’association qui regroupe les professionnels spécialisés dans la prise en charge de ce public très particulier a fait travailler un comité scientifique pour le définir.

Commençons par rappeler que l’intelligence de ces enfants est non seulement intacte, mais parfois au-dessus de la moyenne. Elle se trouve même exacerbée du fait même qu’ils sont souvent sur le qui-vive, adoptant une attitude défensive, convaincus qu’on leur en veut, puisqu’on est toujours sur leur dos. Là où bien d’autres peuvent se montrer insouciants et apaisés, eux sont réactifs, prêts à répondre, ce qui stimule leur capacité de réflexion, mais constitue aussi une source d’épuisement du à la vigilance permanente dans laquelle ils sont tenus. Leurs potentialités ne manquent donc pas. Mais, s’ils sont vifs et prompts à répondre, faisant preuve d’humour et sachant rebondir par une pirouette, un bon mot ou une insolence, ils sont aussi rapides à identifier les failles de l’adulte et à s’y engouffrer, tentant de les mettre en difficulté. Non, par une quelconque malignité ou une volonté perverse, mais parce que c’est la seule façon qui leur apparaît viable pour ne pas disparaître. Ils adoptent là une véritable stratégie de survie, ne comprenant pas et ne pouvant expliquer leurs attitudes, mais les reproduisant à l’excès, comme s’il s’agissait là pour eux de la seule façon de se protéger d’un monde extérieur vécu comme un risque. Aussi attachants soient-ils, et ils sont souvent paradoxalement dans une détresse existentielle à la recherche de l’autre qu’ils vont ensuite rejeter ou attaquer, ils sont aussi le plus souvent épuisants.

 

Les sources du malaise

Plusieurs traits de caractère nuisent à leur socialisation. C’est d’abord une très forte intolérance à la frustration : ce qui guide leur comportement, c’est la recherche du plaisir immédiat, la quête de la satisfaction de leur désir du moment, la réponse à l’envie instantanée. C’est ensuite leur rapport perturbé à la temporalité, vivant dans l’ici et le maintenant. Ce qui pose bien sûr un problème récurrent de concentration et constitue à la fois une conséquence et une cause de leur trouble. S’ils n’arrivent pas à temporiser, c’est parce qu’ils ne le peuvent pas, mais aussi parce que pour eux, l’instant est protecteur et sécurisant, alors que toute projection dans l’avenir leur apparaît menaçante et angoissante. Aussi adoptent-ils une stratégie de fuite en avant. C’est encore un contrôle extrêmement difficile des émotions. Ces enfants expriment sans filtre ce qu’ils ressentent dans l’instant : la joie, l’enthousiasme, le plaisir, mais aussi la colère, la jalousie ou encore la peine. Ils fonctionnent dans le tout ou rien, ne réussissant que difficilement à intégrer les nuances. Leur intelligence intacte leur fait très vite identifier toutes ces fragilités. S’ils n’arrivent pas à en comprendre les causes, ils en perçoivent les conséquences : conflits permanents avec les autres, difficulté à s’insérer, souffrances face à la moindre frustration, soucis de leurs proches. Ils en ressentent une image dégradée d’eux-mêmes et une très faible estime de soi. Ils sont assaillis par le doute, par la peur de ne pas être à la hauteur. Il s’ensuit deux réactions typiques. D’abord un  repli défensif : il ne leur est pas possible de prendre toute la responsabilité de ce qu’ils font vivre aux autres. Cela serait trop insupportable. Ils optent donc pour une stratégie de survie psychique : la forteresse assiégée. Puis, vient la domination : s’imposer, contester l’autorité, nier l’autre, par crainte d’être soi-même victime de comportements identiques aux leurs : maîtriser l’autre plutôt que de se soumettre à lui, imposer sa loi plutôt que de subir celle d’autrui. Et ce, qu’ils soient en face d’un enfant ou d’un adulte, la différence générationnelle leur importe que bien peu. Ce portrait permet de mesurer que ce que font vivre ces enfants aux autres n’est rien par rapport à ce qu’ils ressentent eux-mêmes.

 

L’A.I.Re
L’ « Association des ITEP et de leur Réseaux » regroupe, depuis 1995, des professionnels concernés par la prise en compte des jeunes présentant des troubles psychologiques. Cette fédération proactive et dynamique fait la promotion de la recherche interdisciplinaire sur cette problématique et mutualise les pratiques de soin et d’accompagnement, organisant des rencontres annuelles où se retrouvent pour échanger les intervenants  présents au quotidien auprès de ce public. www.aire-asso.fr

 

 

Gérer pour accompagner

Une chose est de tenter de comprendre, une autre est de réussir à faire face. Comme pour tout autre enfant, il n’y a pas de manière idéale ou unique de réagir qui réussirait à tous les coups. Juste des pistes à explorer, à tester, à expérimenter.

Notre souci a, jusqu’à présent, surtout consisté à démontrer que l’enfant souffrant de troubles de la relation à l’autre n’est ni un vicieux amoral, ni un manipulateur désireux d’exploiter son prochain. C’est un petit d’homme qui n’arrive pas toujours à gérer et canaliser ses difficultés. Bien sûr, il lui arrive de profiter de son statut d’enfant à problème, pour en rajouter. Puisque, de toute façon, il va être montré du doigt pour ce qu’il a fait - ou ce qu’il n’a pas fait, étant si souvent désigné comme coupable tant par les autres enfants que par les adultes - autant qu’il se lâche. D’autant que les efforts qu’il accomplit sont à la fois peu visibles et peu reconnus. D’où le paradoxe qui préside à sa problématique : tenir compte de sa problématique, tout en ne l’enfermant pas dans un rôle.

 

Accepter sa différence

Il n’est pas toujours possible à cet enfant de contrôler ses colères, de réduire son excitation et de cesser de nourrir les tensions avec les autres ? Ce n’est jamais sa personne qu’il faut stigmatiser. Ce sont des comportements précis qu’il faut désigner, en lui expliquant en quoi ils nuisent tant aux autres qu’à lui-même. En tant qu’enfant, il doit être rassuré et sécurisé : il est digne d’être aimé. Ce sont ses attitudes qui posent problème, pas lui. La nuance est d’importance. Il ne faut pas confondre la personne avec ses actes. Il doit donc pouvoir partager les jeux avec les autres. Il ne doit pas en être systématiquement banni. Pour autant, il arrive que ses réactions créent une tension qui mine les activités proposées. Un protocole peut alors être établi avec lui, pour qu’il accepte de se mettre de côté, quand tout déborde. « C’est compliqué pour toi, pour l’instant, de continuer le jeu avec nous. Je te demande de te mettre à l’écart un moment. Tu nous rejoindras un peu plus tard, quand cela ira mieux » peut ainsi affirmer l’animateur. Il ne s’agit pas là d’une punition. Ce qui est alors convenu, c’est la  possibilité qui lui est donnée d’évacuer le trop plein avant de revenir au plus vite, quand il se sera un peu apaisé. Prévenir le conflit qu’il est susceptible de provoquer, c’est avant tout éviter de le déclencher, en l’aidant à repérer et à identifier les postures qui posent problèmes. Bien sûr ce n’est pas si simple, l’enfant étant le plus souvent hostile à cette mise à l’écart ou risquant de quitter le centre sur un coup de colère.

 

Trouver ce qui est efficace

L’idéal serait de détacher un animateur ou une animatrice susceptible d’accueillir l’enfant dans un espace à part, pendant ses moments de crise. Certes, tous les ACM n’ont pas les ressources financières d’aménager ainsi leur équipe d’animation. Pourtant, la question de la gestion de ces publics particuliers n’est pas nouvelle. Elle encombre suffisamment le quotidien, pour qu’on y attache de l’importance et que l’on prenne les moyens d’y répondre. La présence des enfants porteurs de handicap va s’amplifier dans les années à venir. La prise en compte de leur encadrement spécifique devra être de plus en plus intégrée par les organisateurs. Si la posture d’isolement ponctuelle et provisoire constitue une piste possible, elle n’est pas la seule. Tout doit être fait pour les intégrer au groupe. Les efforts aussi minimes qu’ils réussissent à fournir doivent être valorisés. Rappelons que cela leur demande bien plus d’énergie que pour d’autres enfants. Tenir deux heures avant de déclencher le conflit est un formidable progrès, quand auparavant, il ne leur en fallait à peine vingt minutes. On ne doit pas hésiter à leur confier une tâche ou une mission. Si les impliquer risque de provoquer un échec ou un conflit, ne pas le faire est encore pire. Sous réserve, toutefois, de ne pas hausser démesurément le degré d’exigence au-delà de ce qu’ils peuvent réussir à tenir. 

 

 

Les ITEP
Les Instituts Thérapeutiques Educatif et Pédagogique prennent en charge des enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de troubles psychologiques, sur décision des Maisons départementales pour le Handicap. Leur plateau technique propose des soins, accompagnent leur comportement et suivent leur scolarité en internat, ou internat modulé, en accueil de jour ou auprès de la famille. Ces professionnels peuvent être ressource, quand un jeune, qu’ils accompagnent, fréquente un ACM. 

 

 

Rencontre avec François Bange, psychiatre au service psychiatrique de l’enfant à l’hôpital Robert Debré

Connaître l’hyperactivité pour mieux la comprendre

Côtoyant régulièrement ces enfants en grande souffrance du fait de leur hyperactivité, le Docteur François Bange regrette le peu d’information et de formation reçues par les familles ou les professionnels. Il nous apporte ici l’éclairage du médecin.

JDA : Comment définiriez-vous les troubles du comportement ?
François Bange : Cette notion recouvre une réalité très vaste. D’un point de vue psychiatrique, elle englobe des affections aussi diverses que les addictions, les phobies, les anxiétés ou encore les troubles alimentaires qui toutes perturbent les relations sociales du sujet. L’une d’entre elles, les troubles de l’attention/hyperactivité (TDAH), s’identifie à partir de trois critères : le manque d’attention (l’enfant n’arrive pas à se concentrer plus que quelques minutes), l’impulsivité (il réagit aussitôt, sans prendre de distance) et l’hyperactivité (il se montre incapable de rester calme et stable).
 
JDA : Quel impact ces troubles ont-ils dans la vie de l’enfant ?
François Bange : Ces troubles se manifestent tout le temps : en classe, en famille, dans ses activités de loisirs ou sportives. L’enfant se montre épuisant pour les adultes qui le côtoient : les enseignants, les éducateurs sportifs, les animateurs qui ne réussissent pas à le calmer, l’enfant n’écoutant pas les consignes ou ne réussissant pas à les respecter et manifestant un besoin excessif de bouger. Les parents ne savent pas comment réagir face à un enfant qui ne réussit pas à tenir à la table du repas ou regarder un programme télé, sans se lever à tout instant. Mais cela perturbe aussi les autres enfants qui ne supportent pas que l’un des leurs ne respecte pas les règles des jeux pratiqués, se mette en colère ou se montre agressif, dès qu’il est contrarié. Les enfants hyperactifs sont parmi ceux qui sont le plus harcelés.
 
JDA : Que sait-on de l’origine de ces troubles ?
François Bange : Il faut d’abord écarter toute mise en cause d’une éducation défaillante, autant qu’une démission des parents, pas plus qu’une mauvaise volonté chez l’enfant qui s’ingénierait à persécuter les adultes. On ne peut non plus incriminer les évolutions sociétales récentes. Car, ces troubles ont été identifiés très tôt dans l’histoire de la médecine. C’est dès 1880, qu’ils sont décrits par des praticiens américains. Des livres du début du XXème siècle consacrent déjà un chapitre à « l’écolier instable ». Les recherches scientifiques en ont depuis établi l’origine génétique. Ce sont les études sur les jumeaux séparés à la naissance qui l’ont démontré. Dotés du même patrimoine, ils développent les mêmes comportements, alors même qu’ils sont éduqués dans un environnement différent, réduisant l’hypothèse de l’impact du contexte social et culturel. L’origine génétique peut encore être confirmée en identifiant un parent, grand-parent, oncle ou tante eux-mêmes concernés par l’hyperactivité quand ils étaient enfants. Aujourd’hui, ils ont trouvé un apaisement. Ce qui est rassurant pour l’enfant et son entourage qui peuvent entrevoir une vie adulte apaisée. 

JDA : Existe-t-il un traitement médicamenteux efficace permettant de réduire les effets de cette hyperactivité ?
François Bange : Nous disposons d’une molécule, découverte il y a de cela plus de 70 ans, qui se commercialise sous la forme de Ritaline©. Paradoxalement, ce n’est pas un calmant, mais un stimulant qui, par une action sur les neurotransmetteurs, régule la motricité, la réactivité et l’impulsivité. Une prise le matin permet d’assurer huit heures de tranquillité, ce qui soulage l’enfant de sa souffrance et épargne son entourage.

Propos recueillis par Jacques Trémintin

 

« L’enfant inattentif et hyperactif. Le comprendre et l’aider » François BANGE, InterEditions, 2014, 155 p.
Après avoir éclairé le lecteur sur la compréhension de l’hyperactivité, François Bange lui fournit toute une série de conseils pratiques, mettant ’accent sur des renforçateurs positifs comportementalistes : rester constant, patient et calme, reprendre avec l’enfant ses actes, valoriser et encourager ses efforts pour accroître es compétences sociales.

 

 

Rencontre avec Jacques LAMBERT, consultant et formateur

Se centrer sur la souffrance psychologique plus que sur les comportements

Dix ans comme éducateur et vingt-cinq comme directeur en ITEP, Jacques Lambert connaît particulièrement bien ce public. L’éclairage apporté ici est d’autant plus précieux qu’il est fondé sur une expérience qu’il transmet comme formateur de l’AIRe.

JDA : Quelle définition donnez-vous aux troubles du comportement ?

Jacques Lambert : parler de troubles du comportement n’est pas adapté, car tout le monde en est atteint, à un moment ou à un autre : monter en pression sous forme de colère, d’injure ou d’irascibilité, quand on est contrarié ou au contraire devenir apathique sous l’effet du cafard, de la démotivation ou de la mélancolie. C’est la fréquence et le degré d’intensité de ces états qui posent problème, pouvant devenir un véritable handicap psychique. On ignore les causes exactes de ces pathologies, qui sont multiples. Mais, de la même façon que face à un incendie, l’urgence n’est pas d’en chercher l’origine, mais de l’éteindre, là ce qui compte c’est d’apaiser la souffrance psychologique qui se manifeste à travers ces comportements, avant de chercher d’où elle peut provenir, au risque de l’aggraver.  

JDA : Justement, quelles attitudes les animateurs doivent-ils proscrire ?

Jacques Lambert : il y a trois postures principales à éviter. La première vigilance consiste à ne pas prendre pour soi les attaques formulées par ces jeunes. Ce n’est pas nous personnellement qu’ils visent, mais c’est ce que nous représentons symboliquement à quoi ils se confrontent comme à un exutoire : le cadre, les adultes, l’autorité. Ce qu’il ne faut ensuite surtout pas faire, c’est de fonctionner dans cette escalade symétrique : je te punis ; tu te venges de moi ; je te punis encore plus fort ; tu réagis bien plus intensément ; je finis par t’exclure, à la suite d’un affrontement qui parfois peut être physique. Enfin, il est important de ne pas se positionner dans la toute-puissance, de prétendre tout savoir et de vouloir s’imposer. Cela risquerait de provoquer l’agressivité du jeune qui le ressentirait alors comme une tentative de domination venant fragiliser encore plus son estime de soi. Tout au contraire, il vaut mieux montrer ses propres failles, manquements et ignorances, n’hésitant pas proposer au jeune de les combler.

JDA : Quelles sont les autres attitudes privilégier ?

Jacques Lambert : ne pas hésiter à faire un pas de côté en ne réagissant pas à la provocation, en décalant la réponse, en usant de l’humour. Parler calmement. On peut hausser le ton, mais de façon maîtrisée. Montrer toujours de l’intérêt à la demande, pour ne jamais donner le sentiment de ne pas écouter. S’adresser à l’individualité de chacun qui est forcément différente de celle son voisin. Éviter le face à face et favoriser la triangulation soit en passant le relais à un collègue, soit en faisant référence à la loi, au règlement intérieur ou aux usages. C’est justement ce cadre qui peut s’avérer très aidant. Car même si ces jeunes le remettent facilement eu cause, en même temps ils le recherchent. À condition toutefois qu’il soit repérant (se montrant compréhensible et identifiable facilement), contenant (fixant des limitations claires), sécurisant (apportant des garanties tant physiques que psychiques), tolérant (permettant une certaine souplesse) consistant (supportant les transgressions) et stimulant

(offrant une variété et une diversité de possibilités d’activités).

JDA : Ces enfants/adolescents vivant ces difficultés sont-ils accessibles à la sanction ?
Jacques Lambert : oui, comme tous les enfants. Parfois même plus, car ils sont particulièrement sensibles au sens de la justice. Mais, pour eux comme pour les autres, il est essentiel de sanctionner un acte et non de punir celui qui l’a commis. Quatre règles le permettent. La sanction doit être juste, en répondant à un acte précis et identifié. Elle doit être proportionnée à la gravité de ce qui a été commis. Elle doit être progressive, marquant une graduation dans la réaction. Enfin, elle doit être comprise, devant pour cela être expliquée et justifiée auprès du contrevenant à qui il est utile de demander d’en reformuler les tenants et aboutissants, pour l’aider à en reconnaître la cohérence et la légitimité. La meilleure façon de préserver la dignité humaine, en évitant l’humiliation, c’est encore de proposer une réparation. Cette approche permet de retisser du lien social, en donnant la possibilité à celui qui a transgressé de recoudre ce qu’il a déchiré.


Contact : lambertjacques60@gmail.com

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°201 ■ septembre 2019