De Saint-Pol Thibaut - Tyrannie de l'apparence

dans Interviews

Combattre la discrimination de l’apparence

Thibaut de Saint-Pol est sociologue et directeur de l’INJEP
 
Parmi toutes les préoccupations liées au corps, il y a l’obésité. Contrairement aux idées reçues, les injonctions à la minceur n’ont rien d’universelles, les valeurs changeant selon l’espace-temps où elles s’expriment. Thibaut de Saint Paul nous livre ce qui est au cœur de ses recherches : dénoncer une discrimination trop souvent banalisée qui doit être, elle aussi, combattue, comme les autres.
 
Y a-t-il un rapport entre la forme du corps et l’appartenance sociale ?
Thibaut de Saint-Pol : le corps n’est jamais neutre. Entre autres informations, il précise la position de chacun dans la société. Par exemple en France, plus une femme est riche, plus en moyenne elle sera mince, et moins elle est aisée plus elle aura de risque d’être en surpoids. La situation est différente pour les hommes, pour qui le surpoids est plus valorisé, parce que synonyme de force. Ainsi, au travers de la corpulence, on peut voir apparaître des inégalités sociales. Le corps témoigne de la nourriture que l’on peut acheter, de l’accès aux connaissances nutritionnelles, mais aussi des discriminations dont sont victimes ceux qui n’ont pas les formes idéalisées.
 
Les normes de minceur ont-elles évolué dans l’histoire ?
Thibaut de Saint-Pol : elles n’ont effectivement pas toujours été les mêmes. Au XIXème siècle, Émile Zola publie un livre intitulé « Le ventre de Paris » dans lequel il décrit la rivalité entre les « gras » et les « maigres » dans la société de l’époque. Être gros est alors un signe de bonne santé et de réussite. A l’inverse, la maigreur était reliée à la pauvreté ou à la maladie. Exactement le contraire de nos représentations actuelles, où la minceur est signe de richesse ! Mais, il n’y a pas que la forme du corps qui est interprétée comme symbole de la position sociale. C’est le cas aussi par exemple du teint de la peau. A la Renaissance, la pâleur de la peau était un signe de beauté. Le bronzage signalait que la personne vivait exposée au soleil, ce qui était surtout le sort des paysans. Arborer un visage le plus blanc possible, c’était montrer que l’on vivait à l’intérieur, en n’étant pas contraint à travailler dehors. A l’opposé, aujourd’hui avoir un teint bronzé est valorisé, notamment car cela signale qu’on a pu se payer des vacances au soleil.
 
Ces normes de minceur sont-elles identiques quel que soit le pays ?
Thibaut de Saint-Pol : pas du tout. Dans les sociétés où les gens ont du mal à se nourrir, une forte corpulence est généralement un signe de richesse. Dans de nombreux pays d’Afrique, une femme bien en chair est un symbole de fécondité et de maternité. Dans un pays comme l’Uruguay, la surcharge pondérale est valorisée pour les femmes, mais pas pour les hommes, ce qui est le contraire de la situation en France. En Irlande, la forte corpulence est plus largement plébiscitée, tandis qu’en Corée du Sud où c’est la silhouette mince qui est privilégiée pour les deux sexes ! Au sein d’un même pays, les normes peuvent s’opposer, selon que l’on est une femme ou un homme, que l’on vit en ville ou à la campagne.
Quelle crédibilité attacher aux préjugés qui entourent l'obésité ?
Thibaut de Saint-Pol : dès le plus jeune âge, des stéréotypes circulent sur le corps. Dans les contes pour enfants, les gentils sont toujours grands, beaux et forts et les méchants petits, laids et faibles. La discrimination envers l’obésité s’appuie sur deux préjugés pernicieux. Le premier, c’est la fausse causalité établie entre le corps extérieur et les qualités propres à la personne, comme si l’apparence permettait de mesurer la valeur de chacun. Le second préjugé, c’est le glissement de la responsabilité personnelle à la culpabilité individuelle. Il existe de multiples raisons expliquant l’obésité. Pourtant, on la réduit souvent à la mauvaise volonté de l’individu, accusé de ne pas faire l’effort de maigrir. Tout serait donc de sa faute, ce qui justifierait qu’on le stigmatise. 
 
Comment les animateurs doivent-ils s’y prendre pour combattre les discriminations liées à la tyrannie de la minceur ?
Thibaut de Saint-Pol : lutter contre les discriminations qui se manifestent en raison du surpoids ne diffère en rien du combat contre toutes les autres formes de stigmatisation. Ce dont il s’agit, c’est bien d’abord de reconnaître nos propres préjugés et de les combattre, ensuite de promouvoir les différences entre les corps et enfin de ne pas réduire la personne à une seule de ses caractéristiques (son surpoids, son handicap,…) mais à la considérer, comme les autres, dans sa globalité et sa complexité.

 
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Jacques Trémintin - Journal de L’Animation  ■ n°187 ■ mars 2018