Cheval Sophie - Tyrannie de l'apparence

dans Interviews

Agir plutôt que subir

Sophie Cheval est psychologue, psychothérapeute et auteure

La tyrannie de l’apparence, si elle s’impose à tous, n’est pas pour autant une fatalité, pour peu qu’on sache en devenir maître, plutôt que de se faire instrumentaliser par elle. C’est là toute la démonstration de Sophie Cheval qui nous explique non seulement sa genèse et ses conséquences sur notre mode de vie, mais qui nous propose aussi des pistes de réponses pour lui faire face et comment réagir.

Pourquoi le regard que l’autre porte sur notre apparence est-il important pour chacun d’entre nous ?
Sophie Cheval : Bien que nous soyons éduqués à ne pas juger les autres sur leur apparence, elle constitue la première information disponible dans le traitement cognitif de notre perception d’eux. C’est pourquoi nous sommes sensibles, nous aussi, à soigner notre image. Il y a 200.000 ans, notre cerveau d’homo sapiens a intégré la peur d’être rejeté par le groupe sans lequel nous ne pouvions pas survivre. Nous conservons ce souci ancestral d’être accepté et intégré. Aujourd’hui, le conditionnement marketing s’y ajoute, en reposant sur l’équation « personne belle = belle personne » : l’apparence physique est sensée refléter des qualités valorisées, comme le sens de l’effort.
 
Existe-t-il des critères de la beauté qui seraient à la fois objectifs et universels?
Sophie Cheval : Les études ont cherché sans succès les « chiffres d’or » des morphologies universellement reconnues comme belles. Aujourd’hui, les critères du marketing de la beauté se focalisent sur la minceur et la jeunesse, avec une poitrine voluptueuse pour les femmes, et un torse en V pour les hommes. Cela n’a pas toujours été le cas. L’évolution des critères de beauté, au travers du temps et des cultures, montre une corrélation entre ce qui est rare et ce qui est considéré comme beau. Dans les situations de pénurie de nourriture, les formes généreuses sont valorisées, alors que quand les aliments sont abondants (comme aujourd’hui en Occident), la minceur est au contraire privilégiée.
 
Pourquoi cherchons-nous à ressembler à ce que l’on nous présente comme des modèles de beauté ?
Sophie Cheval : Parce que nous subissons la pression du marketing esthétique relayé par les media ! Une étude a établi qu’en Indonésie, les femmes de culture traditionnelle habitant à la campagne préfèrent les hommes présentant un embonpoint, signe de richesse. Alors que celles vivant dans les métropoles, exposées aux média mondialisés, sont sensibles aux morphologies sveltes. Il est important de comprendre que nos préférences esthétiques sont en fait très contextualisées. Ainsi, selon que l’on recherche un(e) partenaire pour la nuit ou pour la vie, les préférences changent : la conformité esthétique prime dans le premier cas ; dans le second, elle est supplantée par d’autres critères (comme les qualités personnelles).
 
Comment est-il possible de résister à cette tyrannie de l’apparence ?
Sophie Cheval : Succomber à la quête de l’apparence conforme est source de déception : sauf à posséder un capital génétique prédisposant, le fossé avec les icônes de ce qu’on nous vend comme LA beauté ne sera jamais comblé. Mais y résister est tout aussi illusoire, tant la pression est forte. Une troisième voie consiste à conserver son libre arbitre face aux injonctions esthétiques, et les traiter comme des propositions. On le fait spontanément face aux dizaines de films ou de spectacles que l’on nous vante et que nous choisissons OU NON d’aller voir. Transposons cette attitude face aux gestes de beauté présentés comme « incontournables », en décidant OU PAS de les adopter. Et contextualisons nos choix ! Nous pouvons adapter souplement le souci de notre apparence, selon nos priorités en situation (elles ne sont pas les mêmes au travail, en vacances, ou lors d’une cérémonie !). Enfin, ajoutons du sens dans nos gestes de beauté (car leurs résultats esthétiques, eux, sont très aléatoires) : par exemple, ajoutons-y la satisfaction d’un partage, en les accomplissant avec une personne chère. Ou celle de prendre un temps pour soi, si cela correspond à notre besoin du moment. De cette manière, nous pouvons donner une place flexible à l’apparence, et non toute la place.

 

« Belle, autrement ! En finir avec la tyrannie de l'apparence » Sophie Cheval, Ed. Armand Colin, 2013
Nous échouons constamment à ressembler aux icônes de beauté que la société idolâtre. Pour répondre à cette frustration, il nous faut déjouer les pièges de la beauté unique, en accueillant pleinement son caractère changeant. Renouons avec l’expérience d’une beauté vivante, éloignée des représentations de papier et apprenons à rechercher celle qui nous convient et qui nous apporte de la satisfaction.

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