Cohen-Emérique Margalit - Le Multiculturalisme

Margalit Cohen Emerique, docteur en psychologie, formatrice et chercheure a été experte auprès du Conseil de l’Europe sur les questions d’intégration multiculturelle. Dans son dernier ouvrage, elle synthétise sa longue expérience, insistant sur la prise de conscience de son cadre de références, du dialogue, de la recherche de compromis dans l’aménagement raisonnable des relations interculturelles.

Comment, selon vous, les animateurs doivent-ils réagir face à des jeunes issus de l’immigration qui adoptent des revendications identitaires ?
Les jeunes issus de la deuxième et de la troisième génération d’immigration construisent une identité complexe, en relation avec le contexte historique, économique, politique et social dans lequel ils vivent. Les animateurs doivent intégrer la complexité et la dimension souvent conflictuelle de cette élaboration, d’autant plus difficile à appréhender qu’elle est marquée par des parcours individuels et familiaux propres à chacun. Cette prise en compte doit leur permettre d’aider ces jeunes à reconnaître la double ou la triple identité à laquelle ils tentent de s’affilier. Nous avons bien tort de les placer devant les choix contradictoires qu’ils ont à vivre. « Comment peux-tu te dire musulman, alors que tu manges du porc et que tu ne suis pas le ramadan ? » entend-on, parfois. Comme si, à nos yeux, l’ambivalence à laquelle ils sont confrontés de par les multiples références culturelles n’était pas acceptable. Ce n’est pas « ou, ou, ou, » mais « et, et, et ». Oui, il est possible de cumuler des positions ou attitudes qui semblent antinomiques, alors qu’en réalité elles sont le résultat de la combinaison de modèles différents et souvent en opposition. Et justement, le travail des animateurs et des travailleurs sociaux, c’est d’aider ces jeunes à résoudre de façon harmonieuse ces contradictions, de les accompagner dans l’accomplissement d’une identité composite et multiculturelle.


Mais, à vouloir se centrer sur les particularismes, n’y a-t-il pas un risque de perdre de vue ce qui est commun aux uns et aux autres ?
Les animateurs sont confrontés à des groupes multiculturels composés de jeunes d’origine ethnique différente en provenance d’Afrique noire, du Maghreb, d’Europe de l’est, voire d’Asie qui se mêlent avec d‘autres qui sont issus de familles intégrées depuis de nombreuses générations. Il faut effectivement faire attention à ne pas se centrer sur un groupe en particulier, mais trouver des activités permettant aux uns et aux autres de se rencontrer. D’où l’importance de trouver des modes d’intervention créatifs qui permettent à la fois de les aider à prendre conscience de leurs multiples références culturelles et à rencontrer l’autre dans sa différence comme dans sa ressemblance. Chaque jeune doit sentir qu’on le respecte et l'accompagne dans sa construction identitaire et qu’on ne le place pas en conflit de loyauté face à son groupe d’origine… mais aussi, l’ouvrir aux autres. C’est cette combinaison, processus en étapes pas forcément facile à mettre en œuvre qui doit lui permettre de trouver sa place dans la société, à côté des ceux qui ne partagent pas les mêmes références.


Quelle attitude adopter par rapport aux demandes culturelles spécifiques minoritaires ?
Il faut toujours commencer par essayer de comprendre les raisons des ces demandes et ensuite tenter de négocier. Les parents migrants tentent de trouver un équilibre entre l’éducation qu’elles ont reçu et le monde dans lequel elles vivent. Ils sont toujours dans une recherche d’adaptation entre garder leurs racines et trouver une place dans la société. C’est dans cet interstice qu’il faut se glisser pour trouver un compromis, en allant chercher ce que les parents sont prêts à accepter. Bien sûr, il existe dans toutes les religions, des familles qui appliquent des principes de vie intégriste et qui ne veulent accepter aucune concession. On peut toujours essayer de négocier avec elles, mais face à ces ultras, c’est impossible. Je pense qu’à leur égard, il n’y a malheureusement rien à faire. Elles ont toujours le choix de ne pas confier leur enfant aux centres aérés du quartier. C’est d’ailleurs souvent ce qu’elles font, préférant s’adresser à des centres confessionnels. Mais avec l’immense majorité des familles, il y a toujours de la place pour l’échange, la compréhension réciproque et le compromis.


On constate souvent un décalage entre les demandes des familles et l’attitude de leurs enfants qui veulent faire comme leurs copains…
Mais, eux aussi font des tentatives d’accommodements entre ce qu’exigent leurs parents et les impératifs de la société. Là encore, il n’est pas juste de renvoyez à l’enfant ses incohérences. Ce n’est pas toujours par inadvertance qu’il agit ainsi. Il essaie, lui aussi, de composer entre ses références d’origine et le monde auquel il est confronté chaque jour. Il peut être maladroit de le critiquer parce qu’ il ne serait pas dans la continuité de ses origines, alors même que c’est justement ce qu’il essaie d’assumer, dans un processus de grande ambivalence mais aussi parfois de grande souffrance. C’est à tout cela que les animateurs doivent être attentifs, afin justement d’aider ces enfants et ces jeunes à y faire face dans les meilleures conditions, avec des interventions adaptées à chaque âge.


Pensez-vous qu’il faudrait accepter le principe des séances de piscine séparées pour les filles et les garçons ?
Le québécois sont plus avancés que nous sur cette question. Ils appliquent ce qu’ils appellent « l’accommodement raisonnable » : comment trouver un compromis sans remettre en cause les principes fondamentaux de la société. Ils ont ainsi proposé qu’à la piscine, les femmes puissent porter un vêtement les couvrant leur corps, du cou jusqu’aux pieds. Ils sont dans une démarche d’acceptation de la différence qui n’est pas celle de la République française qui ne reconnaît pas les minorités ethniques. Ils possèdent aussi une culture de la recherche du compromis que nous n’avons pas ici.


Un jour, un directeur a été questionné par une maman d'une culture différente de la sienne, pour vérifier que les vêtements de sa petite fille de 8 ans ne seraient pas lavés en même temps que les vêtements des petits garçons. Ce directeur n’a pas bien su comment répondre. Qu’aurait-il pu dire ?
Cet exemple apparaît absolument aberrant. On a du mal à identifier la motivation de cette mère. Mais c’est une excellente illustration de la nécessité de rentrer dans la rationalité de l’autre. Votre directeur aurait dû poser des questions à cette maman sur les raisons qu’elle pouvait avoir en présentant cette demande. Le fait de chercher à la comprendre aurait permis de trouver avec elle des solutions. En argumentant tout d’abord sur le lavage du vêtement qui pouvait éliminer les éventuelles impuretés redoutées. En lui proposant, ensuite, par exemple de fournir suffisamment de vêtements à son enfant, selon la durée du séjour, bien sûr, pour ne pas avoir le laver pendant le séjour. On est là dans la recherche d’un aménagement : on ne va pas organiser une tournée de lessive uniquement pour sa fille, mais on la sollicite pour proposer des suggestions.

Lire le dossier: Le multiculturalisme

 

Jacques Trémintin - Journal De l’Animation ■ n°135 ■ janvier 2013