Homo-Ghetto. Gays et lesbiennes dans les cités: les clandestins de la République

CHAUMONT Frank, Le Cherche Midi, 2009, 202 p.

Le statut de l’homosexualité dans les cités renvoie à deux réalités contradictoires. Il y a d’un côté une orientation sexuelle qui, pour faire encore l’objet d’une répression implacable dans nombre de pays, a connu en France une reconnaissance certaine. Cette évolution est récente. Une ordonnance prise en 1945 sanctionnait tout acte impudique commis par deux mineurs de moins de 21 ans du même sexe. Le préfet de police de Paris n’hésita pas, en 1949, à interdire aux hommes de danser ensemble. Depuis le début des années 1980, la tendance s’est inversée : dépénalisation de l’homosexualité, en 1982 et pénalisation de toute discrimination faite à l’égard de cette orientation sexuelle, en 1985. La société s’est mise à accepter de mieux en mieux cette manière de vivre sa sexualité. Même si bien des progrès restent encore à faire, on est quand même là dans une dynamique plutôt ascendante. De l’autre côté, il y a un processus de ghettoïsation de certains quartiers qui, fonctionnant en vase clos, s’enferment dans le mutisme et le ressassement des clichés, l’ignorance et l’exclusion. L’homophobie qui y fait des ravages est l’une des pires illustrations de la régression produite par la décomposition sociale accélérée qui s’y déploie. C’est ce que démontre ce livre rédigé par un journaliste qui, après une enquête de deux ans et demi, nous propose une radiographie des plus inquiétante. Une douzaine de témoignages nous permet de mesurer ce que représente d’être gay, dans ces quartiers. Être homo y est vécu comme la pire des perversités, assimilée couramment à la pédophilie et au viol des enfants. La réputation est directement fondée sur le mythe de la virilité : affichage de sa force, de son absence de sentiments et de ses capacités de violence. On a réussi sa vie quand on a fondé une famille et que l’on a su préserver l’honneur de ses parents. Celles et ceux qui vont à l’encontre de ces codes dominants le paient très cher : insultes, mépris et agressions sont leur lot quotidien. Ils sont condamnés à raser les murs et à baisser la tête. De multiples stratégies répondent à la hantise de ne pas laisser découvrir son homosexualité, passant toutes par la dissimulation et une double vie. Cela va de la recherche de partenaires très loin de la cité à la présentation à sa famille d’une copine qui accepte d’officialiser une fausse liaison amoureuse, en passant par l’adoption des comportements propres aux pires des hétérosexuels (traiter les filles de putes et s’associer à la chasse aux pédés). Si l’on rencontre dans cet ouvrage des familles bienveillantes et des homosexuels ayant réussi à se faire accepter, ce sont malheureusement des exceptions.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°963 ■ 04/03/2010