L’enfant qui ne disait rien

Laurent DANON-BOILEAU, Calmann-Lévy, 1995, 209 p.

Laurent Danon-Boileau est à la fois écrivain, universitaire (professeur de linguistique) et psychanalyste. Son travail au Centre Alfred Binet à Paris l’amène à rencontrer des enfants qui ne parlent pas. Agés de 4 à 7 ans, ils restent silencieux ou usent d’une langue un peu étrange: un mot à la place de l’autre ou encore communisation gestuelle. L’auteur les reçoit en consultations hebdomadaires pendant 3 ans. Dans ce livre, il nous décrit, non pas une méthode mais plutôt un état d’esprit et une façon d’être. Le langage est pour lui une manifestation de la continuité psychique de l’être humain, l’indice de la façon dont il construit sa relation à l’autre. Ce qui compte dès lors ce n’est pas tant d’obtenir à tout prix une expression verbale chez l’enfant que d’établir avec lui un lien, un contact y compris dans un registre excluant toute parole. Le langage suivra. Si l’objectif est bien d’entrer en communication, le thérapeute adopte tout d’abord une attitude faite de passivité afin de se laisser envahir et investir par l’enfant.

Le jeu et le dessin sont tout d’abord largement utilisés. Ils permettent d’introduire et d’utiliser la répétition et le changement, la présence et l’absence, la continuité et la comparaison, la conjonction et la disjonction, toutes choses qui permettent de structurer la pensée et ensuite de verbaliser cette pensée.

Les gestes sont mis à profit eux aussi pour accéder au symbolisme des mots, lorsque le mouvement supplante l’affect dans le processus de verbalisation.

L’écrit enfin représente souvent une deuxième chance pour le langage d’un enfant explique Laurent  Danon-Boileau. La mise à distance, l’objectivation qu’il permet favorise alors l’appropriation par le sujet de la fonction de transmission  d’idées qu’il permet. C’est alors tout un cheminement qui va lui permettre de revivre pour son compte l’histoire de l’écriture depuis l’idéogramme jusqu’à la lettre.

Quand l’absence de langage se rapporte plus au désir d’entrer en relation avec autrui qu’aux difficultés d’expression proprement dites, la rencontre avec un adulte thérapeute a des chances d’être fructueuse. Pour autant, chaque suivi est unique et doit être réinventé en fonction de la personnalité de l’enfant. Ce qui marche avec l’un ne réussira pas forcément avec un autre. Etape après étape, il faut décoder ce qui le fait réagir et essayer d’en interpréter les raisons. Au travers de 7 vignettes cliniques, l’auteur nous fait vivre ce qui va bien au-delà du simple rétablissement de la parole pour l’enfant. Ce dont il s’agit, c’est bien d’amener un être humain à dire ce qu’il a à dire et finalement « comme chacun d’entre nous » à apprendre « à mentir vrai ».

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°343 ■ 07/03/1996